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Sylvain



 
 
 

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16.12.03
 
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Quelques mots à propos de « Harry Potter et l’Ordre du
Phénix » de J. K. Rowling :


Je viens de terminer la lecture de ce roman et quelques éléments pourront intéresser les libéraux indépendamment de la qualité intrinsèque de ce titre.
Parmi les « méchants » de cette nouvelle aventure, le Ministère de la Magie tient une place de premier plan. Le ministre Fudge refuse en effet de croire que Voldemort est de retour (retour relaté dans « Harry Potter et la coupe de feu ») et tout est bon pour discréditer et ridiculiser Harry Potter : procès pour usage illégal de la magie, campagne de presse, etc. En même temps le ministère tente de prendre le contrôle de Poudlard en nommant d’abord Ombrage professeur de défense contre le mal puis en donnant à ce professeur de plus en plus de pouvoir (pouvoir d’inspecter et de révoquer les autres professeurs, contrôle sur les associations du collège, création d’une « milice », etc.). Ombrage sera nommée « Grande Inquisitrice » puis directrice du collège en remplacement de Dumbledore obligé de prendre la fuite.
A noter aussi la première visite de Harry au Ministère de la Magie avec ses innombrables bureaux, services et sous-services. Excellent !
A la fin du roman, le Ministère semble rentrer dans le droit chemin et j’ai presque envie de dire « dommage » ! Mais bon, lire un roman dans lequel les fonctionnaires ne sont pas forcément gentils ni intelligents ne peut que faire du bien aux jeunes lecteurs. Et puis peut-être que plus tard J. K. Rowling amplifiera sa critique de la bureaucratie...

Sylvain

14.9.03
 
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Actualité : les prix Prometheus 2003.

Les prix Prometheus 2003 ont été décerné le 29 août 2003 à la Worldcon de Toronto. Les vainqueurs sont :
- Terry Pratchett pour « Night Watch » dans la catégorie « meilleur roman de l’année » ;
- Robert Heinlein pour « Requiem » dans la catégorie « Hall of Fame ».

Le roman de Terry Pratchett fait partie des « Annales du Disque-monde » éditées en français chez L’Atalante et rééditées chez Pockett. Il s’agit d’heroic-fantasy humoristique souvent très réussie. « Night Watch » raconte les tribulations du duc Sam Vimaire, commissaire divisionnaire du Guet d'Ankh-Morpok projeté dans son propre passé alors qu'il est à la poursuite d'un dangereux criminel...
A noter qu’un autre roman de Terry Pratchett, « The Truth » ("La Vérité" en français), avait déjà été nominé pour le prix Prometheus en 2001.

C’est la sixième fois que Robert Heinlein entre dans le « Hall of Fame ». La nouvelle « Requiem » a été initialement publiée en 1940 et a ensuite fait partie du recueil « L’homme qui vendit la Lune ». Dans la réédition récente chez Folio SF de l'ensemble de l'"Histoire du futur" de Robert Heinlein, cette nouvelle est intégrée au volume 2 : "Les vertes collines de la Terre". Argument : Delos Harriman est un homme très riche mais ce n’est qu’à la toute fin de sa vie qu’il va enfin pouvoir réaliser son rêve...

Le prix Prometheus récompense les meilleurs textes de Science Fiction et de Fantasy dont les sujets sont la liberté, la défense des Droits de l’Homme (incluant les libertés individuelles ET économiques), la lutte éternelle des personnes contre la coercition d’origine gouvernementale ou la critique des abus du pouvoir, en particulier du pouvoir étatique.

Sylvain





Post-scriptum du 28 février 2006 : la traduction française du roman de Terry Pratchett "Night Watch" vient de paraître chez l'Atalante sous le titre "Ronde de nuit".



"La Vérité" a été traduit en français en 2005 chez l'Atalante également :


28.8.03
 
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Robert Shea & Robert Anton Wilson : La trilogie «Illuminatus !»
Traduction : G. Fournier.
Tome 1 : « L’oeil dans la pyramide », Librairie des Champs-Elysées, collection « Abysses » n°8 (1998), titre original : « The Eye in the Pyramid » (1975).
Tome 2 : « La pomme d’or », Librairie des Champs-Elysées, collection « Abysses » n°17 (1999), titre original : « The Golden Apple » (1975).
Tome 3 : « Leviathan » (non traduit).
Cette trilogie a obtenu le prix Prometheus catégorie « Hall of
Fame » en 1986.

« Les anarchistes, découvrit Joe, n’entendaient pas quitter la LESD -
« Nous allons rester et botter quelques culs là où il faut », déclara l’un d’eux, sous les applaudissements et les hourras des autres. Quant au reste, ils semblaient en proie à une certaine confusion idéologique. Graduellement, il parvint à dégager les différentes positions exprimées : les anarchistes individualistes, qui parlaient comme des Républicains (sauf qu’ils voulaient se débarrasser complètement du carcan gouvernemental) ; les anarcho-syndicalistes et les Wobblies, qui parlaient comme des marxistes (sauf qu’ils voulaient se débarrasser complètement du carcan gouvernemental) ; les anarcho-pacifistes, qui parlaient comme Gandhi et Martin Luther King (sauf qu’ils voulaient se débarrasser complètement du carcan gouvernemental) ; et un groupe surnommé, plutôt affectueusement, les « Dingos » - dont la position était totalement inintelligible. Simon en faisait partie. »

« L’oeil dans la pyramide » pages 169 et 170.

C’est un phénomène souvent noté que l’édition française en général n’est pas très réactive et que certains ouvrages importants en sciences, en sciences sociales ou pour ce qui nous concerne ici en Science Fiction attendent très longtemps avant d’être traduits. C’est le cas de la trilogie « Illuminatus » dont l’édition française non seulement retarde de plus de vingt ans sur l’édition originale mais est restée incomplète du fait de la disparition prématurée de la collection « Abysses ».
La Librairie des Champs-Elysées fait partie du groupe Hachette et est surtout connue par les collections policières des éditions dites du Masque. La collection « Abysses » était donc d’une certaine façon la lointaine descendante des collections de Science Fiction et de littérature fantastique de cet éditeur dans les années 1975 à 1981.

Les auteurs sont très peu connus en France. Robert Shea est souvent confondu avec Michael Shea (l’auteur notamment d’une suite au « Cugel l’Astucieux » de Jack Vance) et Robert ANTON Wilson ne doit pas être pris pour Robert CHARLES Wilson régulièrement publié chez J’ai lu.
A moins que ces confusions possibles ne soient volontaires et ne cherchent à brouiller les pistes ? Car la série « Illuminatus ! » nous entraîne dans une relecture de l’histoire du monde qui pourrait nous rendre quelque peu paranoïaques.
« L’oeil dans la pyramide », le premier volume s’ouvre sur la citation suivante d’Ishmael Reed :
« L’histoire du monde est l’histoire de la guerre entre sociétés secrètes. »
Le projet du roman est ainsi très bien résumé car l’intrigue nous plonge dans un maelström de sectes, de personnages historiques, de croyances religieuses et d’idéologies.
On rencontre ainsi aussi bien la pomme de la Genèse qu’un Nautilus à la Jules Verne mâtiné de « Yellow Submarine », Lovecraft que Tolkien, les communistes que les fascistes, Timothy Leary qu’Adolf Hitler. Car il y a aussi une dimension politique à ce texte.
Pour tenter de résumer : depuis l’Atlantide (qui a bien sûr réellement existé), les hommes sont partagés en deux factions qui luttent entre elles. D’un côté les « Illuminés » qui veulent organiser la société d’une façon assez rigide, et de l’autre les « Discordiens » qui sont des adeptes du chaos. A moins que ce ne soit l’inverse ? Les Illuminés de Bavière (une sorte de secte du XVIè siècle) sont ainsi mis à contribution aussi bien que les « Haschichins » ou « Assassins » du XIè siècle. (1)
D’autres motifs très importants de l’imaginaire américain rythment également le récit comme l’assassinat de John Kennedy et les tensions raciales entre Blancs et Noirs.

Donc une dimension politique.

« En tant que juge, poursuivit-il, je rejette cette affaire pour différentes raisons. L’Etat est mentalement dérangé et totalement inapte à arrêter, juger et incarcérer ceux qui s’opposent à sa politique. Mais je doute que ce jugement, quoique évident pour toute personne de bon sens, entre dans le cadre de notre jurisprudence américaine. Je décrète donc également que le droit à détruire des biens gouvernementaux est protégé par le premier amendement à la constitution des USA et que, par conséquent, le crime dont ces personnes sont accusées n’en est pas un au regard de la constitution. Les biens gouvernementaux appartiennent à l’ensemble du peuple, et le droit du peuple à exprimer son déplaisir vis-à-vis du gouvernement en détruisant ses biens est précieux et doit être respecté. »
« La pomme d’or », page 108.

Les idées libertariennes sont explicitement celles de certains personnages comme Mavis, une femme qui se déclare adepte du laissez-faire capitaliste même si les auteurs n’ont pas l’air de beaucoup apprécier Ayn Rand.
Le titre du troisième volume « Leviathan » est d’abord une référence biblique (c’est un monstre marin) mais est aussi une référence à l’ouvrage de T. Hobbes paru en 1651 sur la nécessité d’organiser un Etat absolutiste pour que l’homme puisse vivre en société (à comparer à la notion de « Contrat social » de Rousseau finalement assez proche). Le mot Léviathan désigne souvent actuellement l’Etat, en général avec une nuance critique quand il s’agit de dénoncer son poids et la menace permanente qu’il représente pour nos libertés.

Le style est un peu déroutant pour nous aujourd’hui. Il s’agit d’une sorte de collage de points de vue, de styles narratifs très divers avec une multitude de personnages différents. On passe sans transition de l’un à l’autre d’où une impression d’éclatement et même de fouillis de la narration. Dans le corps du texte, Joyce et Faulkner sont d’ailleurs cités comme références. On pourra donc très bien être rebuté par ce style kaléidoscopique.

Quasiment inconnu en France, « Illuminatus! » est devenu un phénomène aux Etats-Unis. La première trilogie a été prolongée et on arrive aujourd’hui à une dizaine de volumes publiés. Un jeu de société a été conçu par Steve Jackson (l’un des fondateurs de « Games Workshop ») et a été édité en France par les éditions « Jeux Descartes » en 1990. (2) On trouve même sur le net des sites se réclamant du « discordisme ». (3) On pourrait également citer une sorte de clone : le roman « Le pendule de Foucault » d’Umberto Eco (Grasset, 1990) qui brasse aussi une grande quantité de sectes, de sociétés secrètes et de révélations sur les dessous de l’histoire. (4)

Donc si vous lisez l’anglais (ou l’allemand !) pas d’hésitation. La trilogie « Illuminatus ! » est un OVNI littéraire d’un très grand intérêt. Si comme moi vous ne lisez que le français et que cet ouvrage vous intéresse, il faudra commencer à chercher les deux premiers volumes chez les bouquinistes car ces livres sont épuisés chez l’éditeur et ont été soldés il y a quelques années. Mais cette quête en vaut la peine...

Sylvain

Notes :
(1) : Voir « Les sociétés secrètes » de Arkon Daraul (J’ai lu, collection « L’aventure mystérieuse » n°A283, 1974). Cet auteur est d’ailleurs mentionné dans « L’oeil dans la pyramide ».
(2) : Voir présentation du jeu « Illuminati » dans le magazine
« Jeux & Stratégie » nouvelle série n°3 (Janvier 1990) page 10.
(3) : Par exemple sur ce site.
(4) : Voir le « Dizionario del pendolo di Foucault » de Luigi Bauco et Francesco Millocca (Gabrielle Corbo Editore, 1989).



7.7.03
 
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James E. Gunn : « Kampus »
Edition Albin Michel, collection Super+Fiction n°8 (1980).
Edition originale : « Kampus » (1977).
Traduction : France-Marie Watkins.

« En réalité, la condition humaine la plus naturelle, si nous définissons par « naturel » ce qui a le plus prévalu, c’est la faim, les privations, la pauvreté, la maladie et une mort prématurée. Peut-être est-ce la rareté de ces conditions naturelles qui force nos réformateurs à protester. »
« Le carnet de notes du Professeur » (« Kampus », page 129).

James Gunn est né en 1923 à Kansas City dans le Missouri. Il a été journaliste, critique, écrivain et surtout professeur à l’Université du Kansas où il enseigne l’anglais et la Science Fiction (il est « director of the Center for the Study of Science Fiction »).
Comme écrivain, il a commencé à publier dans les années cinquante et ses nouvelles ont été rapidement traduites en France où elles ont participé aux beaux jours des deux revues Galaxie et de Fiction.
Ses romans les plus connus sont « Le pont sur les étoiles » (« Star Bridge ») écrit en collaboration avec Jack Williamson et « Le monde forteresse » (« This Fortress World ») tout deux publiés en 1955. Il a également supervisé une volumineuse histoire de la Science Fiction en quatre volumes intitulée « The Road to Science Fiction ».

L’histoire de « Kampus » se place dans un futur proche. Les idées de mai 68 ont gagné et les étudiants radicaux ont pris le pouvoir dans les universités. Les professeurs peuvent être renvoyés par les étudiants, le recteur est régulièrement pris en otage et le diplôme est automatiquement accordé au moment de l’inscription à l’université. Les conséquences sont graves et les campus sont de véritables camps retranchés coupés du reste du monde.

Gavin est étudiant révolutionnaire mais est quelque peu fasciné par la « vraie » culture et le « vrai » savoir. Il va rencontrer un professeur atypique qui fait ses cours « à l’ancienne » en essayant de faire réfléchir ses étudiants sans démagogie. Gavin est tellement passionné qu’avec ses amis il va kidnapper le professeur et après la mort de celui-ci mettre en scène une cérémonie de cannibalisme. Les étudiants vont littéralement manger son cerveau espérant ainsi s’approprier son savoir.

Un peu plus tard, Gavin fera échouer un attentat contre une centrale énergétique organisé par ses condisciples activistes et sera pour cela chassé de l’université.

Commence alors un voyage vers la maison de ses parents chez qui Gavin espère trouver refuge. Déception : ses parents n’ont aucune envie de le voir revenir. Sa mère lui explique qu’elle n’a jamais été faite pour la maternité et que d’ailleurs sa chambre est louée à une jeune fille, Elaine.

Gavin repart avec pour objectif Berkeley sur la côte pacifique, lieu mythique pour les étudiants révolutionnaires. Parti à pied, il est rapidement rattrapé par Elaine qui le prend à bord de sa voiture électrique. Ensemble, ils vont parcourir une bonne partie du pays et faire de nombreuses rencontres.

La société décrite dans ce roman est proche de la notre mais certains éléments nous rappellent que les années 80 ont profondément modifié les Etats-Unis.
Dans ce livre, la société est très désorganisée. Pas de police, pas de justice, pas de tribunaux et seuls les groupes organisés en vue d’une conspiration sont victimes de la répression gouvernementale.
L’énergie est quasiment gratuite, tout le monde a un revenu minimum garanti grâce à la mécanisation de la production des biens essentiels mais on peut travailler si on désire plus. De toute façon, le temps de travail est très réduit et la retraite arrive tôt. Certaines zones géographiques sont cependant en train de revenir à un mode de vie assez primitif alors qu’il subsiste des oasis de savoirs où des savants poursuivent leurs recherches à l’abri de l’agitation du monde.

La conception exprimée dans ce livre est la liberté comme droit de faire à peu près ce que l’on veut quitte à embêter ses voisins, conception bien de son époque où les normes, les habitudes, les lois héritées du passé semblaient trop pesantes.Le problème est qu’il n’y a pas de responsabilité ni d’engagement dans ce futur incertain. Chacun pour soi et tant pis pour les conséquences.

A côté de ça, James Gunn comme quasiment tous les auteurs des années soixante-dix a très peur de la surpopulation. N’oublions pas qu’à cette époque, les fadaises du « Club de Rome » étaient encore dans toutes les mémoires(1). Le danger de surpopulation est d’ailleurs dans ce livre le seul sujet qui mérite qu’on soit responsable (pas plus de deux enfants par femme nous dit-on...).
Ce roman démarre sur les chapeaux de roue et le radicalisme qui régnait à l’époque sur les campus nord-américains est sévèrement critiqué. Mais dans la suite de son récit, l’auteur laisse entendre que ces idées appliquées à l’ensemble de la société ne sont peut-être pas si mauvaises que ça et que l’expérience est sans doute à tenter.

« C’est une expérience dangereuse. Nous ne savons pas si elle réussira ; si elle échoue, elle échouera désastreusement. Nous n’interviendrons pas, car elle peut contenir l’ultime expression du potentiel humain. Peut-être y a-t-il une bonté humaine fondamentale qui pourra s’épanouir en compréhension, en tolérance et en amour. Mais si l’expérience échoue, nous préférons ne pas laisser tous les espoirs humains mourir avec. Il y a d’autres aspirations humaines précieuses en dehors de la liberté, et nous serons ici, préservant l’héritage humain pour que l’homme le retrouve. » (Page 254)
explique le Directeur d’un havre de paix pour scientifiques à Gavin.

Aujourd’hui, avec le recul nous pouvons dire que l'aspiration à la liberté des années soixante et soixante-dix a malheureusement débouché trop souvent sur l’irresponsabilité quand elle ne faisait pas le lit du totalitarisme. Un gagnant provisoire : l’Etat qui ne relâchera quelque peu son emprise sur la société américaine que contraint et forcé dans les années quatre-vingts.
« Kampus » propose donc une vision du futur conservatrice au sens de F. Hayek (2) : la peur du changement d’une part ; l’acceptation de raisonner avec les armes et les arguments de l’adversaire d’autre part. Le résultat est l’impuissance à résister aux évolutions néfastes et l’incompréhension devant ce qui se passe sous nos yeux. Le conservatisme est bien voué à l’échec.

Sylvain

(1) : Voir à ce sujet par exemple « Le mythe du fossé nord-sud » d’Yves Montenay (édition Les Belles Lettres, 2003), chapitre 4 : « Le mythe du sous-développement par le surpeuplement ».
(2) : Voir le texte essentiel « Pourquoi je ne suis pas un conservateur » par Friedrich Hayek disponible ici.

Références :
- « Rencontre avec James Gunn » par Charles Moreau et Richard D. Nolane in Fiction n°295 (novembre 1978).

- « Ce gros et beau roman va faire grincer des dents ! Les « idées » de mai 68 ont triomphé aux USA : les adultes ont cédé parce que parents ; et, parce qu’enfants, les étudiants font un effroyable gâchis, générateur de tyrannie. A Gavin, nouveau Candide, il faudra bien des heurts avec la réalité, et quelques tendresses aussi, pour se débarrasser de sa carapace idéologique. Combien de lecteurs en feront autant ? »
George W. Barlow in « L’année 1980-1981 de la Science-Fiction et du Fantastique », présentée par Jacques Goimard, éditions Julliard (1981), page 88.

Liens :
- Interview
- Biographie


3.6.03
 
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Alfred E. Van Vogt : « Le colosse anarchique »
Avec une introduction de l’auteur.
Edition originale : « The Anarchistic Colossus » (1977)
Editions françaises :
1 : édition Albin Michel, collection Super+Fiction n°4 (1978)
2 : édition J’ai lu n°1172 (1981)
Traduction : Georges H. Gallet.

Alfred E. Van Vogt (1912-2000) est un auteur de Science Fiction dont l'oeuvre peut paraître étrange de nos jours. Adulé dans les années 40 et 50, il est un peu oublié aujourd’hui. Auteur de plusieurs textes classiques comme « Le Monde des non-A » (1948), « La faune de l’espace » (1950), « A la poursuite des Slans » (1951), ou la nouvelle « Le village enchanté » (1950), ses derniers romans publiés sont quasiment illisibles et « Le colosse anarchique » fait indubitablement partie de cette catégorie. C’est mal écrit, mal construit, souvent incompréhensible et finalement assez ennuyeux.
Cependant, ce livre a quand même un intérêt : l’auteur tente d’élaborer une société future anarchiste. Il s’en explique dans son introduction dont voici les premières lignes :

« Dans ce roman, j’ai pris pour base que la nature même de l’humanité, et particulièrement celle de l’homme, comme on l’a observé depuis bien longtemps, ne tend pas à s’améliorer. Ainsi ma question n’était pas : quel degré de perfection pouvons-nous espérer à partir des agissements humains ? Mais plutôt : quelle sorte de technologie serait nécessaire pour maintenir un système d’anarchisme en tenant compte de la conduite déplorable du genre humain ? »
(Page 7 de l’édition Albin Michel.)

Pour l’auteur, l’anarchisme est donc un idéal très élevé et il va tenter de lever à sa façon ce que j’appelle le « Dilemme de Versins » qui dit que :

« L’anarchie est à notre goût cette forme de pensée politique selon laquelle nous n’aurions pas besoin de gouvernement si tous les hommes étaient bons, honnêtes et intelligents. » (David Friedman rajouterait « et si les crocodiles volaient. » )

On savait déjà que Van Vogt ne portait pas forcément l’Etat en haute estime. Deux de ses romans les plus connus « Les armureries d’Isher » (1951) et « Les fabricants d’armes » (1952) décrivent un futur lointain dans lequel le pouvoir de l’Empire est contrebalancé par une guilde d’armuriers dont la devise est « être armé, c’est être libre ». Tout un programme...

La trame du roman « Le colosse anarchique » est constituée par l’arrivée imminente d’une flotte de vaisseaux extraterrestres dont le but est de conquérir la Terre. Ces extraterrestres, les Igs, pratiquent un jeu qui consiste à détruire les races qu’ils jugent inférieures. La conquête de la Terre semble facile car les équipages des vaisseaux censés la protéger sont sous le contrôle hypnotique des Igs...

Du point de vue politique qui nous intéresse ici, l’Etat sur Terre n’existe plus du tout. A en croire les rares informations dispersées dans le livre, des « anarchistes d’extrême-droite » (sic) ont inventé des machines qui surveillent sans répit la population et qui rendent inconscients pour une durée variable les personnes commettant un délit. Ces « ordinateurs Kirlian », du nom de l’« effet » Kirlian (1) réagissent aux modifications des émotions humaines. Si les ordinateurs jugent l’affaire trop grave, on peut être envoyé dans une « école de rééducation ».
A part ça, les gens sont libres...
Ainsi, par exemple, dans les magasins les clients mettent d’eux-mêmes l’argent réglant leurs achats dans les caisses enregistreuses (ils y ont intérêt ! ) Van Vogt a inventé un totalitarisme anarchiste technologique.

Dans cette société future, certaines personnes vivent selon les principes capitalistes, d’autres se disent communistes (ils réclament que l’on modifie la programmation des ordinateurs pour que seules les personnes ne partageant pas l’idéal communiste soient rendues inconscientes...), etc. mais l’auteur ne rentre pas dans les détails.

Bien sûr les extraterrestres ne réussiront pas à envahir la Terre car au dernier moment certains d’entre eux se révolteront et inonderont d’ordinateurs Kirlian leur planète natale, les extraterrestres se convertissant à ce drôle d’anarchisme technologique ! Pauvres extraterrestres !

En conclusion, voici un roman fort mal écrit et dont l’intérêt principal est de montrer que les anarchistes eux-mêmes savent bien que leur idéal est totalitaire.

Sylvain

Note (1) : Pour en savoir plus sur "l'effet Kirlian", voir ICI ou LA.

Références complémentaires :
- « Alfred E. Van Vogt : parcours d’une oeuvre » par Joseph Altairac, édition Encrage, collection « Références » n°14 (2000).

- Lien vers un site très complet consacré à Alfred E. Van Vogt (site réalisé par Philippe Raimond).

29.5.03
 
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Ursula K. Le Guin : « Les dépossédés »
Editions françaises : 1 : Laffont col. "Ailleurs et Demain" (1975 et 2000) ;
2 : Presses Pocket n°5159 (1983).
Edition originale : « The Dispossessed » (1974).
Traduit par Henry-Luc Planchat.
Prix Hugo en 1975 et prix Prometheus catégorie « Hall of Fame » en 1993.
N.B. : les pages indiquées font référence à l’édition Robert Laffont.

J’ai toujours eu du mal avec les textes d’Ursula K. Le Guin. Je trouve son style trop littéraire, souvent ennuyeux et les bonnes idées qu’elle utilise ne sont souvent pas d’elle. Mais c’est une militante écolo-féministe de gôche et ses écrits rencontrent un grand écho. C’est sans doute l’auteur de SF à qui on a consacré le plus d’études universitaires (mais ne me demandez pas si c’est bon signe...).

Son roman « Les dépossédés » est une des rares tentatives de description d’une utopie socialiste qu’on trouve dans la Science Fiction moderne (j’utilise ici le mot « socialiste » au sens large incluant l’anarchisme collectiviste).

Donc deux planètes apparemment de taille similaire tournant ensemble, chacune étant la lune de l’autre. La première, Urras, est comparable à la Terre actuelle avec une grande variété de climats, de ressources et des pays indépendants organisés autour de systèmes politiques différents. L’autre, Anarres, est désertique et aride, à peine habitable et plusieurs millions de personnes dont les ancêtres se sont exilés d’Urras cent soixante-dix ans auparavant tentent d’y survivre dans le cadre d’une société anarchiste.
Nous suivons les pérégrinations du physicien annaresti Shevek qui va être amené à partir pour Urras, la planète ennemie afin d’y poursuivre ses recherches sur une nouvelle physique qui permettrait aux vaisseaux spatiaux d’aller plus vite que la lumière et de rapprocher l’humanité dispersée dans plusieurs systèmes solaires. C’est dire si ces travaux sont suivis avec attention.
Sur cette trame narrative, Ursula Le Guin brosse un portait contrasté de l’utopie annarestie et de la planète Urras, repoussoir calqué sur notre propre monde ou plutôt sur l’image que s’en fait l’auteur.

D’un côté donc, une population peu nombreuse, pauvre, à la merci de la sécheresse et même de la famine. Pas de gouvernement, pas d’autorité, du moins officiellement mais la solidarité, et les biens mis en commun car la propriété privée n’existe pas. Les enfants ne restent en permanence avec leurs parents que jusqu’à l’âge de deux ans. Après ils passent de plus en plus de temps dans des « centres d’éducation » et passent la nuit dans des dortoirs collectifs. Shevek va peu à peu se rendre compte que tout n’est pas parfait, loin de là, dans cette société. Il sera par exemple séparé de la femme qu’il aime et de leur premier enfant pendant plusieurs années car, au nom de la situation d’urgence due à la sécheresse, ils ne peuvent travailler et vivre au même endroit et ils sont envoyés à des postes très éloignés l’un de l’autre pendant quatre ans.
Les Annarestis se sont coupé volontairement du reste de l’univers et seuls quelques cargos provenant d’Urras atterrissent chaque année d’où une mentalité de citadelle assiégée un peu paranoïaque associée à une morale puritaine (sauf en ce concerne le sexe). Toujours à l’occasion de la sécheresse, on voit la bureaucratie prendre de l’importance et les idées dissidentes peuvent vous mener à l’asile psychiatrique (pp 331 et 332) !
Ces anarchistes ont aussi créé leur propre langue censée correspondre à leur mode de vie. Par exemple, les marques de possession sont quasiment absentes (on ne dit pas « ma » mère mais « la » mère) et le même verbe signifie « jouer » et
« travailler » (sic).

De l’autre côté, la luxuriante planète Urras, sa prospérité et ses richesses mais aussi ses pauvres exploités et misérables (p. 289), ses révoltés et la répression policière que Shevek verra de très près (pp 306 et 310). Cette planète est divisée en plusieurs Etats mais il passera tout son séjour en A-Io, pays capitaliste de type occidental. Toutes les tares réelles ou supposées du capitalisme sont bien sûr abondamment décrites dans ce roman : la propriété privée, la hiérarchie, l’armée (p. 310), la guerre pour détourner le peuple de son désir de révolution (p. 292), la soumission forcée des femmes (p. 221), etc.
L’impression d’ensemble n’est cependant pas totalement cohérente car d’une part l’auteur nous dit que les pauvres ne sont pas vraiment pauvres dans cette société et d’autre part elle nous explique qu’il y a des pauvres vraiment pauvres mais dans son roman, ce ne sont que des ombres. Ursula Le Guin n’est visiblement pas à l’aise pour décrire la misère qui pour elle doit être terriblement abstraite. Elle est un peu plus à l’aise pour montrer des travailleurs syndiqués en grève ou manifestants contre la guerre.
Je crois que l’on touche là un des problèmes de la littérature de science-fiction qui se prétend engagée : les auteurs qui affichent leur volonté de changement social dans un sens collectiviste ne savent tout simplement pas de quoi ils parlent et la vie des vrais pauvres leur est inconnue, tout comme les mécanismes de la création réelle de la pauvreté qui leur sont bien mystérieux. Comment expliquer autrement leur aveuglement à promouvoir coûte que coûte des changements sociaux qui ne font que multiplier le désespoir et le nombre de pauvres ? Après tout, il est quand même remarquable que plus une société est collectivisée, plus les pauvres y sont nombreux et maltraités !



Au détour du roman, on apprendra l’existence de l’Etat de Thu qui lui est de type soviétique (p. 145). Quel dommage qu’Ursula Le Guin n’ait pas consacré quelques pages à décrire ce pays ! J’aurais aimé savoir ce qu’elle pensait des pays communistes qui au début des années 70 quand elle a écrit ce roman se portaient apparemment très bien. Dommage que le sort des peuples sous la botte soviétique ne l’ait pas plus intéressé !

Sinon, l’organisation du roman n’est pas linéaire et l’auteur entremêle des épisodes de l’enfance et de la jeunesse de Shevek se passant sur Annares et les épisodes racontant sa découverte d’Urras.

En conclusion ? Ursula Le Guin sait que sa société rêvée sera une société pauvre, misérable et étriquée... mais elle fait de nécessité vertu et transforme cette aliénation en morale puritaine oh combien désirable pour les intellectuels révolutionnaires marxistes. Elle trouve même le moyen de décrire brièvement la Terre, notre Terre, ravagée par la pollution et la surpopulation (p. 352). Décidément notre futur est bien sombre et face à ce catastrophisme idéologique, il sera bien difficile de résister aux tentations totalitaires...

Sylvain

P.S. : Ursula Le Guin est revenue sur cette histoire dans une nouvelle « The Day Before The Revolution » parue également en 1974. Elle y raconte la dernière journée d’Odo, la fondatrice de la société annarestie alors âgée de plus de soixante-dix ans. Un texte confus et sans grand intérêt.
En français : « A la veille de la révolution » in Galaxie n°135-136 (août-septembre 1975) ;
repris une première fois dans « Le livre d’or de la science-fiction : Ursula Le Guin » (éd. Presses Pocket n°5012, 1977 ; à noter que ce recueil de nouvelles a été réédité chez le même éditeur sous le titre "Etoiles des profondeurs" dans la série "Le grand temple de la science-fiction" en 1991) ;
repris une deuxième fois dans "Le livre d'or de la science-fiction : Encore des femmes et des merveilles", une anthologie réunie et présentée par Pamela Sargent (Presses Pocket n°5058, 1979).

P.P.S. : boutade :
Qu’est-ce que la Science Fiction ? Une histoire dans laquelle un auteur peut écrire sans sourciller: « l’administration devait travailler avec rapidité et efficacité » (page 105) !

Références complémentaires sur Ursula K. Le Guin :
- « Ursula K. Le Guin ou la lumière » par Marc et Christian Duveau in Galaxie n°86 (Juillet 1971).
- « La nébuleuse du crabe, la paramécie et Tolstoi » par Ursula K. Le Guin in recueil « Le monde de Rocannon/Planète d’exil/La cité des illusions » CLA n°40 (éd. OPTA, 1972).
- « Ursula K. Le Guin : une morale pour le futur » par Anthelme Donoghue in Univers n°4 (éd. J’ai lu, mars 1976).
- « Une définition de l’humanité » par Gérard Klein, préface à « Le livre d’or de la science-fiction : Ursula Le Guin » (op. cit.).

Références complémentaires sur « Les dépossédés » :
- « Le nouveau chef d’oeuvre d’Ursula K. Le Guin » par Philippe R. Hupp in Galaxie n°128 (janvier 1975).
- Critique par Jean Milbergue parue dans le fanzine "A la poursuite des Sffans" n°1 (janvier 1976).
- « Science-Fiction : une histoire illustrée » par Dieter Wuckel (éd. Leipzig, 1988), pages 176.
- « A la veille de la révolution » par Ursula K. Le Guin, avant-propos à la nouvelle éponyme in « Le livre d’or de la science-fiction : Ursula Le Guin » (op. cit.).
- "Retour sur Les dépossédés" par Pierre K. Rey in Fiction n°349 (mars 1984).

Mauvaise langue ?
Jacques Sadoul a écrit :
"Venons-en maintenant au chapitre des récompenses. Le roman de Ursula Le Guin, The Dispossessed, dont une traduction française doit paraître dans la collection Ailleurs et Demain, a obtenu le Nebula puis le Hugo. Le premier prix est attribué par les professionnels américains, le second par les fans lors de la Convention mondiale annuelle. A dire vrai, ce résultat était déjà annoncé ouvertement l'an dernier à la Convention de Washington. Or, à cette époque, le vote ne devait avoir lieu qu'un an plus tard !
Quelques auteurs de S-F, méchants, il y en a, avaient même insinué que Mrs LeGuin n'avait accepté d'être l'invitée d'honneur à la Convention de Melbourne, cette année, que parce qu'elle savait y recevoir le Hugo.
Après tout, le don de double vue, ça existe, non ?"

Jacques Sadoul in revue "Univers n°3 (éd. J'ai lu n°629, décembre 1975) page 182.


18.5.03
 
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Eric Frank Russell : « La grande explosion »
Edition OPTA, CLA n°69 (1978), comprend également un autre roman du même auteur : « Le sanctuaire terrifiant ».
Edition originale : « The Great Explosion » (1962).
Traduction : C. et L. Meistermann.
Prix Prometheus catégorie « Hall of Fame » en 1985.

Auteur britannique, Eric Frank Russel a fait presque toute sa carrière aux Etats-Unis. Il est l’auteur d’un classique de la Science Fiction : « Sinister Barrier » (1939, en français « Guerre aux invisibles », 1952) sur le thème du « Ils sont parmi nous... » dans lequel les invisibles Vitons se nourrissent de nos émotions négatives. L’homme étant naturellement bon et généreux, ils induisent nos comportements violents comme la guerre, les meurtres et autres atrocités.

Pas d’extraterrestres dans « La grande explosion » mais un roman au ton franchement humoristique et dont la lecture est très agréable.
Point de départ : après qu’un quasi-demeuré a inventé par hasard le moyen de voyager plus vite que la lumière, la moitié de l’humanité a pris le chemin des étoiles.

« Les vaisseaux Blieder essaimèrent tandis que toutes les familles, religions, cliques et bandes qui pensaient que c’était mieux ailleurs partirent sur les pistes des étoiles. Instables, ambitieux, mécontents, martyrs, excentriques, asociaux, excités et simples curieux filèrent par dizaines, par centaines, par milliers, par dizaines de milliers. »
(Prologue)

C’est ça la « Grande Explosion ». Quatre cents ans plus tard, les Autorités Terriennes décident de réunir dans un empire galactique les mondes ainsi colonisés car des extraterrestres hostiles pourraient un jour - qui sait ? - surgir des profondeurs de l’espace. Des expéditions chargées de reprendre contact sont organisées et nous allons suivre l’une d’elle.
Placé sous l’autorité d’un Ambassadeur Impérial, le vaisseau visitera successivement quatre planètes avec mission d’établir un traité d’alliance avec les descendants des exilés et de laisser sur place une ambassade et une garnison.

La première planète visitée est peuplée par les descendants de bandits et de criminels exilés là de force. Les habitants sont organisés en « forts » indépendants comptant jusqu’à plusieurs milliers de personnes. Les femmes peu nombreuses à l’origine ont une grande liberté et sont libres de quitter leur fort si aucun habitant mâle ne leur convient. Robert Heinlein dans « Révolte sur la Lune » se souviendra de cette idée. Les hommes, eux, sont surtout occupés à en faire le moins possible et à chaparder tout ce qu’ils peuvent car leur mépris pour le travail est impressionnant. Il n’y a ni autorité centrale, ni gouvernement et les Terriens repartiront sans avoir pu établir leur ambassade...

La seconde planète, Hygéia, est très différente. Elle a été peuplée par deux groupes : d’une part les Fils de la Liberté, d’autre part les Naturistes.
Si les Fils de la Liberté ont quasiment disparu, les Naturistes se portent bien. Ils vouent un culte à la bonne forme et à la santé physique. Ils vivent nus, passent leur temps à faire du sport et ne consomment aucune substance néfaste. Chaque Hygéien entrant en contact avec les Terriens doit d’ailleurs se faire désinfecter...
Après quelques quiproquos, notamment à propos de la nudité des habitants (le roman date tout de même de 1962), les Terriens réussiront à établir une ambassade. Elle sera installée sur une île afin de ne pas risquer de contaminer les autochtones. Mission accomplie donc.

La troisième planète est déserte et inhabitée, seules quelques ruines subsistent d’une occupation humaine. Fort prudemment, par crainte de contagion par une maladie mortelle inconnue, les Terriens ne se poseront pas.

Mais la planète la plus intéressante est la quatrième. Les Terriens y atterrissent dans l’indifférence générale. Pas un habitant ne se dérange pour les rencontrer. Un peu vexés, les visiteurs vont tenter de capturer de force un des habitants. Il y aura plusieurs tentatives infructueuses. Lors de l’une d’elles, les Terriens arrêteront un bus qui passe sur une route passant à proximité du vaisseau. Ils constateront avec surprise que les passagers et le chauffeur sont menottés par les chevilles à leur siège...
Finalement, un des soldats sera envoyé seul dans la ville voisine car il a apporté avec lui son vélo. Il rencontrera alors des habitants et nous commencerons à comprendre comment fonctionne cette étrange société.
Pour résumer, l’argent n’existe pas et les gens se donnent les uns aux autres ce qu’ils appellent des « obs ». Ce sont des obligations qu’ils se doivent les uns aux autres et qu’ils effacent en donnant un service ou un bien. Par exemple le propriétaire d’un magasin donne ce qu’il a dans son magasin à des pompiers de façon à ce que si son magasin prend feu, les pompiers effacent leurs obligations en venant éteindre l’incendie. Dans le livre, le système fonctionne car les villes sont de petite taille et tout le monde se connaît. Il n’y a pas d’autorité constituée ni de gouvernement. Lorsqu’on propose quelque chose qui ne leur plaît pas aux habitants, ils répondent « Otto », ce qui veut dire « Occupe-Toi de Tes Oignons ! » (en anglais « MYOB », « Mind Your Own Business »(1)).
Le système de propriété est également remarquable. Une ferme ou un champ appartient à celui qui s’en occupe. S’il en a marre, il s’en va tout simplement et quelqu’un d’autre peut prendre sa place sans avoir rien à payer (rappel : l’argent n’existe pas). Cela fait penser me semble-t-il au système préconisé par Murray Rothbard dans « L’éthique de la liberté » (voir en particulier le chapitre 6 : « La philosophie du Droit chez Robinson Crusoé »).

Les Terriens finiront par comprendre que si les passagers du bus étaient attachés à leur siège, c’était pour que eux (les Terriens !) ne puissent les faire prisonniers... On leur expliquera aussi qui était Gandhi (dont les habitants se réclament) et ce qu’est la désobéissance civile.
Après un temps d’observation, les visiteurs séduits par cette société libre commenceront à déserter en nombre le vaisseau pour se fondre dans la population. L’Ambassadeur le fera décoller en catastrophe avant que le manque d’hommes ne rende impossible son utilisation dans l’espace...

Ce roman est un chef d’oeuvre. Drôle, intelligent, plein d’idées, j’en recommande sans réserve la lecture. Il mériterait bien d’être réédité.

Sylvain

(1) : Dans "Vers une société sans Etat" (éditions Les Belles Lettres, 1991, page 369), David Friedman se demande si Eric Frank Russell n'est pas l'inventeur de cette expression. En fait non car on peut entendre cette phrase ("Mind Your Own Business") dans le film de Ernst Lubitsch "The Shop Around The Corner" à la quarante-troisième minute. Ce film date de 1939 et les rôles principaux sont interprétés par Margaret Sullavan et James Stewart.

P.S. : A noter que ce volume du CLA a été illustré de dessins signés Jean-Louis Floch. En 1978, il devait alors débuter.



P.P.S. : E. F. Russell avait déjà utilisé le thème des conquérants assimilés et pacifiés par le peuple qu’ils sont censés avoir conquis dans une nouvelle de 1948 : « Late Night Final », en français : « La fin du voyage au bout de la nuit » in Fiction spécial n°9 (1966).

Références complémentaires :
- « Eric Frank Russell ou la non-violence » par Marcel Thaon in Fiction n°191 (Novembre 1969), repris dans « Guêpe - Plus X » CLA n°53, 1974, éd. OPTA.
- « Croisades contre la connerie » critique par Jean-Pierre Fontana in Fiction n°298 (Février 1979).

Extraits :

(Au moment de départ... )
« Une masse compacte de gens se tenaient derrière les barrières et étudiaient le vaisseau avec des regards bovins de bons contribuables obéissants. Il ne venait à l’esprit d’aucun que quelqu’un avait payé pour cette vision gigantesque, ni qu’il avait été effectué une sérieuse ponction dans leur portefeuille individuel et collectif.
Les gens étaient momentanément incapables de réflexion profonde à propos de la dépense occasionnée. Le drapeau avait été hissé, les orchestres jouaient, c’était un événement patriotique. Les conventions veulent que l’on ne songe pas à l’argent dépensé lors des événements patriotiques ; l’individu qui choisit ce moment-là pour compter l’argent qui lui reste est, par définition, un traître et un bon à rien.
Le vaisseau reposait donc, tandis que le fanion tribal flottait à la brise et que les orchestres produisaient des sonorités tribales et qu’une sélection tribale de braves triés sur le volet montaient à bord à la queue leu leu. »

(chapitre 1)

(Après l’atterrissage sur la quatrième planète, alors qu’aucun habitant ne daigne se déranger...)
« Soit cela, soit ils ont peur. Ou bien encore ils sont tous plus dingues que sur les autres mondes. Pratiquement, toutes ces planètes ont été annexées par des gens bizarres qui voulaient créer un paradis où leurs excentricités pouvaient se donner libre cours. Et les idées folles deviennent alors conventionnelles après quatre cents ans de continuité parfaite. Il est, à ce stade, considéré comme normal et convenable de nourrir l’araignée dans le plafond de votre grand-père. Cela et des générations de croisements peuvent constituer des individus vraiment étranges. Mais nous les guérirons avant d’en avoir fini ! »
(Chapitre 8)

17.5.03
 
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Remarque : existe-t-il une Utopie Socialiste ?

Pierre Versins (1923-2001) a été pendant de nombreuses années LE spécialiste français de la Science Fiction. Il a publié en 1972 une « Encyclopédie de l’utopie, des voyages extraordinaires et de la Science Fiction » aux éditions l’Age d’Homme, un énorme volume de près de 1 000 pages qui visait à l’exhaustivité.
Il s’agit donc de la plus volumineuse étude jamais publiée en français sur le sujet qui nous intéresse ici.
Livre passionnant, touffu et même parfois un peu confus. En plus d’un anti-américanisme fanatique, Pierre Versins avait une sensibilité politique plutôt anarchiste qui transparaît dans ses écrits. Je trouve très intéressante la remarque ci-dessous tirée de l’article « Socialisme » de son encyclopédie.

« Avec la probité qui nous caractérise, nous avons cherché si, là-bas, tout au fond, il n’y aurait pas une utopie sociale, nous n’en demandions pas une grande, non, une minuscule eût suffi à nous combler, quelques pages dans un gros bouquin, et non non non, nous nous sommes épuisés.
Alors nous nous sommes dit, revenant sur nos pas, c’est permis : puisque d’une part, il n’y a pas d’utopie socialiste vraiment, puisque d’autre part la conjecture touche à tout, y compris ce qui n’existe pas, c’est que le socialisme existe moins encore que ce qui n’existe pas. Et nous avons fermé les yeux avec un gros soupir. »

(pages 817-818)

Le bilan est donc terrible : les tentatives d’élaborer (dans la fiction) une utopie social(iste) donnent systématiquement un résultat effrayant car totalitaire. L’utopie se transforme en anti-utopie. Etonnant, non ?

Il est dommage que Pierre Versins, prisonnier de ses oeillères politiques n’ait pas su identifier les utopies décrites dans « Révolte sur la Lune » de Robert Heinlein ou dans « La grande explosion » d’Eric Frank Russell. Il est vrai que ce ne sont pas des utopies sociales...

Sylvain

P.S. : définition de l’anarchisme, d’après le même livre :
« L’anarchie est à notre goût cette forme de pensée politique selon laquelle nous n’aurions pas besoin de gouvernement si tous les hommes étaient bons, honnêtes et intelligents. »
(page 42)
Etonnez-vous qu’avec des conceptions pareilles la révolution ne dégénère en goulag !


16.5.03
 
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Cyril M. Kornbluth : « Le Syndic »
Edition OPTA, CLA n°66 (1977) (comprend également le roman
« Les sillons du ciel » de Frederik Pohl et C. M. Kornbluth).
Edition originale : « The Syndic » (1953).
Traduction : Bruno Martin.
Prix Prometheus catégorie « Hall of Fame » en 1986.

Cyril M. Kornbluth est mort jeune à 35 ans d’une crise cardiaque. Ses récits souvent pessimistes, parfois même cyniques étaient en avance sur leur temps. Nul doute que s’il avait vécu, sa place dans la littérature de Science Fiction aurait été considérable. En l’état des choses, deux de ses trois romans restent encore aujourd’hui au minimum très intéressants. Je vous ai déjà parlé ici de « Ce n’est pas pour demain », roman introuvable en français et jamais réédité qui mériterait bien pourtant de l’être. Je voudrais vous présenter aujourd’hui son roman qui reste le plus connu : « Le Syndic » (paru en 1953) car on y trouve la description d’une société libre.

Dans l’avenir, le gouvernement américain a quasiment disparu. Suite à la révolte des citoyens, il a été chassé d’Amérique et s’est réfugié en Irlande où il a réduit une partie de la population en esclavage. Aux Etats-Unis, l’autorité ou ce qui y ressemble le plus est exercée à l’ouest par le Gang et à l’est par le Syndic. Ce sont deux organisations lointaines descendantes des mafias de notre époque.

Plusieurs membres importants du Syndic ayant été assassinés, nous suivons les tribulations de Charles Orsina qui est envoyé comme espion chez les partisans d’un retour du gouvernement américain. Il va réussir les tests de recrutement grâce à un conditionnement mental et va ainsi pouvoir découvrir le fonctionnement d’un Etat embryonnaire et ses factions qui n’hésitent pas à recourir au meurtre pour régler leurs différents. Il découvrira même une alliance entre les étatistes et le Gang.

Dans ce futur assez sombre, l’Europe est retournée à des conditions de vie proches de l’âge de pierre. Charles Orsina découvrira que le culte des sorcières y est bien vivant et que certaines d’entre elles ont des pouvoirs parapsychiques. Une enfant, elle-même sorcière, l’aidera à s’échapper et à rejoindre l’Amérique...

Ce roman est bien mené, les idées sont nombreuses et originales. Entre deux péripéties, l’auteur nous parle de psychologie sociale ou du rapport entre les sexes. Je ferais une réserve quant à l’utilisation parfois un peu forcée de coïncidences dans la narration. Cet artifice hérité des romans populaires du début du vingtième siècle (voir les romans de Gaston Leroux par exemple) est difficile à accepter aujourd’hui. Mais c’est une critique tout à fait mineure qui ne diminue que très peu l’intérêt de ce roman.

Le Syndic est donc le vrai personnage principal de cette histoire. C’est une organisation qui gère tout ce qui est souvent condamné moralement voire interdit comme les paris, les courses, les cabarets, la vente de l’alcool, etc. Mais attention !, cette organisation n’empêche pas le reste de la société de fonctionner librement. Les citoyens ne sont contraints en aucune manière. Le Syndic assure même une retraite décente aux personnes âgées. Cependant on aimerait encore en savoir plus car tout autre est le Gang. Sur le territoire de ce dernier, les habitants sont opprimés et le Gang est une organisation tyrannique.

Le livre se clôt sur une grande interrogation : faut-il organiser à tout prix la défense de cette société libre avec le risque qu’elle y perde son âme ? Le chef du Syndic, Frank W. Taylor répondra clairement non.

Sylvain

P.S. : Une fois de plus, la parution de ce livre en français passera inaperçue et les revues « Fiction » et « Galaxie » n’en parleront pas.

Extraits :
« Permettez-moi de vous exposer ce que représente le soi-disant Gouvernement : des « taxes » sauvages ; la suppression du jeu ; le refus des simples plaisirs de la vie aux pauvres, ainsi que leur limitation réglementée pour toutes les classes, sauf les très riches ; le puritanisme en matière de sexualité, cruellement imposé par un code pénal d’une barbarie effarante ; des règlements et des impositions pour chaque minute de la journée. Voilà ce qu’il était au temps de son pouvoir et voilà ce qu’il serait s’il reprenait le pouvoir. »
« Le Syndic », chapitre 4.

« - Non, Charles. Rien ne peut être une question de vie ou de mort pour le Syndic. Lorsqu’une situation quelconque devient question de vie ou de mort pour le Syndic, c’est qu’il est déjà mort, que son moral s’est déjà désintégré, que son prestige a déjà disparu. Ce qui reste n’est plus le Syndic, mais sa coquille vide. Je ne suis pas en mesure de juger objectivement si le Syndic est mort ou vivant en ce moment. Je crains qu’il ne soit en train de mourir. »
« Le Syndic », chapitre 22.

Référence complémentaire concernant C. M. Kornbluth :
- Donald Wollheim : « Les faiseurs d’univers » édition Robert Laffont (1973), pages 141 à 145.


11.5.03
 
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Johan Heliot : « La Lune seule le sait »
Ed. Mnémos (2000)

Il est courant dans le fandom français d’affirmer que la Science Fiction est nécessairement « de gauche »(1). En général, ce genre littéraire se voit sommé de réfléchir sur les insuffisances supposées de notre société et est condamné à imaginer des solutions utopiques imaginaires. Les textes critiques envers la société actuelle sont donc forts nombreux. On ne compte plus les anti-utopies ou les récits apocalyptiques racontant la fin ou la destruction de notre monde sur fond de pollution généralisée ou de surpopulation (2). Cet imaginaire apocalyptique a certainement beaucoup contribué à populariser des idées très répandues désormais dans le grand public.

Mais on aimerait aussi de temps en temps lire des ouvrages optimistes qui nous aideraient à réfléchir sur la construction d’un monde meilleur. Là, il faut bien le reconnaître, les textes sont beaucoup plus rares. Concrètement, les auteurs de Science Fiction modernes ont été incapables de décrire une société socialiste ou une utopie « de gauche » crédible. On trouve quelques textes russes de l’ère soviétique qui prétendent contre toute évidence que l’avenir appartient au socialisme (3) et des textes français d’écrivains se revendiquant de l’extrême-gauche, en général très mal écrits et donnant une image sinistre et glauque de la révolution (4). Quelques auteurs anglo-saxons se sont aussi lancés dans l’aventure avec des résultats passablement ambigus (c’est le terme même utilisé par Ursula K. Le Guin pour qualifier l’utopie anarchiste décrite dans son roman « Les dépossédés »).

Les seuls à s’être frottés à ce désir d’utopie et à avoir élaboré quelque chose d’intéressant sont finalement des auteurs plutôt classés « à droite ». Je ne reviendrai pas sur le roman « Révolte sur la Lune » mais je mentionnerai du même Robert Heinlein « Citoyen de la galaxie », un roman qui était une réponse en 1956 à la constatation de l’anthropologue Margaret Mead que la Science Fiction moderne ne proposait plus d’utopies. Il y a également des textes de Cyril M. Kornbluth et d’Eric Frank Russell non dénués d’intérêt.

Un roman français récent a beaucoup fait parlé de lui au moment de sa parution. Il s’agit de « La Lune seule le sait » de Johan Heliot. C’est l’occasion de se poser la question : existe-t-il, et même peut-il exister une Science Fiction marxiste de qualité ?

Ce roman appartient au sous-genre dit « Steampunk ». Il s’agit de récits se passant en général au 19ème siècle en pleine révolution industrielle et donnant souvent matière à des histoires alternatives. Il y a eu de grandes réussites comme « Les voies d’Anubis » de Tim Powers (J’ai lu, 1986) et « Les aventures uchroniques d’Oswald Bastaple » de Michael Moorcock (OPTA, 1982).

L’action de « La Lune seule le sait » se passe en 1899, année qui marque l’apogée de l’Empire français de Napoléon III. Car l’histoire a bifurqué en 1870 : cette année-là, les Français ont gagné la bataille de Sedan et en 1889, des extraterrestres, les Ishkiss, sont arrivés sur Terre et se sont alliés à l’empire français. Ils ont échangé quelques-unes de leurs connaissances contre l’aide des ingénieurs français afin de soigner leurs vaisseaux qui sont à la fois des machines et des êtres vivants.
Les opposants au régime sont exilés sur la lune dans un bagne appelé « l’Enfer de Dante ». Le personnage principal du livre n’est autre que l’écrivain Jules Verne envoyé sur la Lune pour le compte de l’exilé Babiroussa (Victor Hugo) afin de contacter la célèbre communarde Louise Michel, peut-être encore vivante. Le but est de préparer la révolte à la fois sur Terre et sur la Lune...
Jules Verne naturellement réussira dans son projet et s’alliera même avec les extraterrestres. L’Empereur sera assassiné et les bagnards feront la révolution.

Le récit est bien mené et intéressant. Le style est simple et clair.

En revanche l’idéologie politique est, disons, particulière, Johan Heliot s’en explique dans sa postface. Après une explication assez pénible visant à expliquer que les Français savent faire du Steampunk aussi bien que les anglo-saxons, (5) il nous explique que le régime soviétique a « dérivé » sous Staline et ses idéaux sont toujours ceux des révolutionnaires marxistes.

Point essentiel du roman, il ne donne AUCUN détail sur l’organisation de la nouvelle société lunaire. Nous ne saurons rien de ce qui se passe quand les révolutionnaires prennent le pouvoir. Tout au plus, apprendrons-nous que les prisonniers « impériaux » seront condamnés au bagne pour une durée variant en fonction de la gravité de leurs crimes. Sinon, comment les conflits sont-ils résolus ? Qui dirige réellement ? Rien, nothing, nada. Frustrant !
Il n’y a donc pas d’utopie dans ce roman, juste un message idéologique visant à faire croire que la Révolution, c’est bien. Nous sommes en pleine pensée magique et superstitieuse. Le réel, même fictif, n’a pas d’intérêt, ce qui compte, c’est le bourrage de crâne. Coup de pied de l’âne, le jeune Adolf Hitler fait une courte apparition dans l’épilogue : il prend à parti dans un café les habitants révolutionnaires de la Lune. Au cas où on n’aurait pas compris le message, il faut être fasciste ou nazi pour être opposé à la Révolution ! (6)
Cette idéologie pro-révolutionnaire est tellement présente aujourd’hui en France que ce roman a été couvert d’éloges à sa sortie. Tous les magazines parlant de Science Fiction lui ont fait une place d’honneur. (7)

Comme il est quand même difficile de « vendre » de nos jours la révolution russe de 1917, ou plutôt le coup d’état bolchevique de 1917, Johan Heliot se sert de ce qui reste du mythe : la Commune de Paris de 1870. Les Communards ayant été vaincus, il est facile de leur prêter toutes les qualités (8). Les trotskistes utilisent le même procédé pour faire croire que Trotski était un grand humaniste puisqu’il s’est opposé au criminel Staline. Ce qu’ils ne disent pas évidemment, c’est que Trotski était plus extrémiste et que s’il avait pris le pouvoir, il aurait peut-être fait encore plus de victimes que Staline.

Le moins contestable dans ce roman ? L’illustration de couverture !

Sylvain

(1) Voir par exemple un livre qui a marqué son époque :
« Pourquoi j’ai tué Jules Verne » de Bernard Blanc (Ed. Stock, 1978).
(2) Juste deux exemples : Harry Harrisson : « Soleil
vert » (Presses Pocket, 1975) et Philip Wylie : « La fin du rêve » (Ed. OPTA, 1976 et Le Livre de Poche, 1980).
(3) Voir par exemple : Ivan Efremov : « La nébuleuse d’Andromède » (roman datant de 1957).
(4) Par exemple les anthologies « Ciel lourd, béton froid » et
« Planète socialiste » parues chez Kesselring en 1977.
(5) Une fois de plus, on constate que l’idéologie socialiste fait très bon ménage avec le nationalisme.
(6) Je recommande à ce stade la lecture du chapitre 37 « La révolution, c’est vraiment l’enfer ! » de « Vers une société sans Etat » de David Friedman (Ed. Les Belles Lettres, 1991).
(7) Voir par exemple la chronique de Pierre Stolze dans Bifrost n°22 (avril 2001, page 91-93) mais Johan Heliot a eu aussi les honneurs de « Science-Fiction Magazine » notamment et même de « Casus Belli ».
(8) A propos de cet épisode de l'histoire de France on lira avec profit le chapitre 9 du livre de Jean Sévillia "Historiquement correct", chapitre consacré à la Commune de 1871 (Edition Perrin, 2003).

Réponse de l'auteur (12 mai 2003) :

"Effectivement ! Je suis toujours surpris de découvrir ce genre d'analyses, qui prêtent à l'auteur beaucoup plus d'ambitions, d'intentions et même d'intelligence qu'il n'y en a généralement à la base d'un projet de roman, analyse qui reflète le plus souvent les obsessions du lecteur - mais, là encore, je peux me tromper ! Surtout, vous prêtez me semble-t-il beaucoup
trop d'importante et d'influence à la "pensée marxiste" dans notre société - je ne sache pas que les pouvoirs soient actuellement détenus par des tenants de l'extrême gauche, ni qu'ils l'aient jamais été !! Et jusque dans le milieu de la SF, je vous garantis que la gauche extrême est très peu présente, il n'y a donc pas eu enthousiasme général pour ce roman en raison d'un positionnement politique (pour tout vous dire, j'ai même eu droit aux éloges de pas mal de critiques - fans bien ancrés à droite de l'échiquier politique) : comme partout, le conservatisme y a de beaux jours devant lui...

Cordialement quand même,

Ben oui...

Johan Heliot."


Réponse à la réponse (extrait):

(...)
j’aimerais vous faire part de quelques réflexions qui me sont venues à la lecture de votre message.

Il me semble que le fandom français est très majoritairement de gauche. Je crois me souvenir que vous avez vous-même reconnu dans un entretien paru dans « Science Fiction Magazine » me semble-t-il qu’on y rencontrait des « activistes ». Je pense à Stéphane Nicot par exemple qui est militant de la LCR et à Pierre Stolze par exemple. Ne vous méprenez pas, je suis pour la liberté totale d’opinion, ce n’est pas un problème !

Pour revenir à « La Lune seule le sait », je ne pense pas avoir inventé en tout cas les positions marxistes que je vous attribue, la postface est très claire.

D’un point de vue plus général, pour un libéral/libertarien comme moi, les « socialistes » (au sens large, c’est-à-dire, tous les gens qui veulent « améliorer » la société dans un sens collectiviste, de l’extrême-gauche et des anarchistes au démocrates-sociaux) et les conservateurs (qui ont peur de ces changements mais sont incapables de s’y opposer faute d’une pensée et d’une réflexion sérieuse, de l’extrême-droite au centre mou) partagent une même idéologie caractérisée notamment par le culte de l’Etat et l’idée que les élites politiques savent mieux que le peuple ce qui est bon pour lui.
Avez-vous lu le texte de Friedrich Hayek « Pourquoi je ne suis pas un conservateur » ? C’est très éclairant.
Il n’est donc pas surprenant me semble-t-il que des personnes « de droite » ou ayant des idées « conservatrices » aient apprécié votre roman et les idées qu’il véhicule. Je vous avoue cependant que ce qui m’a le plus déçu, c’est de rien savoir de la nouvelle société « lunatique ». Pour moi, le fond du problème est là. Souhaiter une société meilleure me semble tout à fait légitime mais on aimerait avoir des détails. En fait, je suis persuadé que vous-même ne voudriez pas vivre dans une société qui appliquerait réellement les idées trotskistes par exemple.

Aujourd’hui en France, l’extrême-gauche politique n’est certes pas au pouvoir, mais les idées collectivistes sont plus que jamais au coeur des projets politiques de tous les partis. Entre le PS et l’extrême-gauche, je vois une différence de degré mais certainement pas une opposition idéologique. Quant aux partis de droite, ils ont tellement peur de déplaire à la gauche qu’aucune réforme digne de ce nom n’est entamée. Avez-vous lu « Un bilan économique : un an après la réélection de Chirac » par Pascal Salin ?

Les exemples récents des 35 heures et des retraites sont très intéressants. L’Etat, qu’il soit tenu par des hommes politiques de droite ou de gauche se donne le droit de décider de la vie des gens à leur place et sans leur demander leur avis. Et si les gens décidaient eux-mêmes de la durée de leur temps de travail ? Et si les gens décidaient eux-mêmes de l’âge de leur départ à la retraite ? Qu’en pensez-vous ?
En ce début de 21ème siècle, la liberté est toujours et plus que jamais une valeur subversive.

Bien cordialement,

Sylvain Gay

7.5.03
 
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Cyril M. Kornbluth : « Ce n’est pas pour cette année »
Intitulé « Ce n’est pas pour demain » sur la couverture.
Satellite n°40 bis / Satellite Sélection n°8 (janvier 1962).
Editions originales : USA : « Not This August » (1955) ;
Grande-Bretagne : « Christmas Eve » (1956).
Traducteur inconnu.

L’Américain Cyril M. Kornbluth (1923-1958) est surtout connu pour ses récits écrits en collaboration avec Frederick Pohl. Ensemble ils ont notamment écrit un classique de la Science Fiction : « The Space Merchants » (1952 ; en français : « Planète à gogos », 1958) dans lequel toute la société est organisée autour de la publicité.
Kornbluth est également connu pour être l’auteur d’un roman précurseur du libertarianisme : « The Syndic » (1953 ; en français : « Le syndic », 1977) qui décrit un futur dans lequel les gangsters de la Mafia ont pris le pouvoir...

Le roman « Ce n’est pas pour cette année » raconte la victoire de l’URSS et de son allié la RPC (« République Populaire de Chine ») sur les USA.
Le personnage principal est Billy Justin, un ancien artiste commercial âgé de 37 ans. Pour ne pas être mobilisé, il est devenu fermier et c’est de son exploitation qu’il va d’abord entendre la capitulation des Etats-Unis annoncée à la radio par le Président et assister à l’arrivée des troupes d’occupation soviétiques.
Les USA deviennent la « République Démocratique Populaire d’Amérique du Nord » et sont partagés en deux zones : les Soviétiques occupent l’Est et son riche potentiel économique tandis que les Chinois contrôlent l’Ouest et le centre du pays, étant plus intéressés par de nouveaux territoires à coloniser.

L’un des premiers actes des Soviétiques sera la convocation d’un couple d’amis de Justin qui sont en fait membres du parti communiste clandestin. Comme tous leurs coreligionnaires, ils seront fusillés dans une cave par les occupants car :

« C’était ainsi que les Braden avaient reçu leurs convocations, s’y étaient rendus sans le moindre soupçon et avaient été exécutés dans un sous-sol, car, comme le disait Braden, ces Rouges étaient en vérité des garçons fort intelligents qui savaient que dans un pays récemment conquis la Révolution ne doit pas laisser en liberté les révolutionnaires, ces révolutionnaires qui connaissent toutes les techniques de la subversion et de la clandestinité et qui, pour une Révolution devenue tout soudain la représentante de l’ordre et de la stabilité, sont la plus grave menace. »
(chapitre 3)


Un peu plus tard, des quotas de production de plus en plus élevés seront imposés aux agriculteurs et des règlements de compte auront lieu entre les occupants, certains étant accusés de fraterniser avec la population. Une partie de la population est envoyée dans des camps ou même en Chine pour défricher de nouveaux territoires.
Kornbluth décrit également avec beaucoup de soin les différents types de réaction face à l’occupant : alors que certains collaboreront de bon coeur, d’autres entreront dans la résistance et y laisseront leur vie.
Car évidemment, de nombreux Américains vont vouloir se révolter. Par hasard, Justin va rencontrer le survivant d’un projet scientifique visant à construire un nouveau satellite militaire qui aurait donné la victoire aux USA grâce aux bombes nucléaires et aux bombes au cobalt qu’il aurait emporté avec lui.
Contrairement à ce que croient les occupants soviétiques, ce satellite n’a pas été détruit mais est resté inachevé et caché. La tâche de Justin sera désormais de « passer » ce renseignement aux chefs de la Résistance afin qu’ils organisent la fin de la mise au point finale et le lancement de ce satellite.

Comme les déplacements dans le pays deviennent quasiment impossibles, Justin sera aidé par Mr Sparhawk, un survivant de l’armée britannique devenu prêcheur itinérant. Sa doctrine est un mélange de christianisme, de bouddhisme et de psychanalyse. Ce « doux dingue » emmènera Justin sur les routes et après quelques mésaventures (dont quelques jours passés dans les geôles de la police soviétique), ils finiront par trouver les chefs de la résistance.
Ensuite, tout ira très vite. Le satellite sera achevé puis lancé. Les résistants déclencheront la révolte et un ultimatum sera envoyé aux Soviétiques et aux Chinois...

Ce roman est une curiosité. Les romans clairement anti-communistes ne courent déjà pas les rues mais c’est l’un des seuls récits dans lesquels les communistes gagnent (même provisoirement) la guerre (1).
Il faut se souvenir qu’en 1956, la guerre de Corée était encore dans toutes les mémoires.
Les communistes avaient pris le pouvoir en Chine en 1949 et les Américains et les Coréens du sud avaient failli perdre la guerre contre les communistes coréens en 1950 et en 1951. L’armistice ne datait que de 1953. La puissance potentielle des Soviétiques et des Chinois alors alliés avait de quoi inquiéter les Américains et les autres Occidentaux.

Ce roman est réaliste dans sa description du communisme : exécutions sommaires, famines organisées, espionnage (les Rosenberg sont nommément cités), règlements de compte, torture des opposants, police politique, antisémitisme, rien ne manque.
Dommage que l’intérêt faiblisse dans la dernière partie du récit. La révolte américaine est un peu bâclée et trop rapidement victorieuse pour être tout à fait crédible.

Vu le climat intellectuel dominant en France en 1962, c’est un petit miracle que ce roman ait pu être traduit en français (même si la revue « Fiction » se gardera bien d’en parler). C’est peut-être aussi ça la Science Fiction.

Sylvain

(1) : On peut toutefois peut-être rapprocher de ce texte le premier roman de Robert Heinlein paru en 1942 et qui a pour titre "Sixième colonne". Heinlein décrit les Etats-Unis vaincus et occupés par une puissance étrangère asiatique qui emprunte des traits à la Chine et surtout au Japon impérial de l'époque. Là aussi la révolte américaine finira par triompher des envahisseurs...

Un autre extrait :
« - C’est amusant. La même chose est arrivée en Ukraine, en 1933. Les paysans sont sortis de leur apathie ; ils ont négligé leurs cultures ; ils ont abattu leur cheptel plutôt que de le donner à l’Etat. Ils n’ont fait pousser de céréales que ce qui leur était indispensable pour subsister. Que dit l’histoire ? Qu’a fait le grand Staline ?
Il eut un gloussement d’affection à la mémoire de la perspicacité du vieil homme.
- Je ne sais pas, dit-elle timidement. Nous étudions surtout les origines et les héros de la lutte des classes en Amérique du Nord...
- Et c’est tout-à-fait normal. Je vais vous dire ce qu’a fait le grand Staline. Il a attendu. Il a souri et il a attendu. Puis vers la fin de l’année 1933, il a confisqué toutes les réserves de céréales et tout le cheptel. Ces fous de paysans sont morts par millions pendant l’hiver. Après cela, au printemps il a été très facile de grouper les survivants en fermes collectives où l’on pouvait les avoir à l’oeil et où l’on ne permettait aucun écart.
Il tira longuement sur sa cigarette et haussa les épaules.
- S’il faut apprendre à vivre à vos paysans, l’URSS se fera un plaisir de jouer au maître d’école.
- Quel art vous avez de rendre les choses claires, Lieutenant, dit Betsy. »
(chapitre 19)


Référence complémentaire à propos de Cyril M. Kornbluth :
- « Reconstitution historique 2 » par R. Derek Nolane, Horizons du fantastique n°24 (3ème trimestre 1973)

Une très belle édition italienne de ce roman :


28.4.03
 
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Vernor Vinge : « La captive du temps perdu »
Ed. L’Atalante (1996).
Rééd. Le Livre de Poche n°7228 (2000).
Traduction : Stéphane Manfrédo.
Edition originale : « Marooned in Realtime » (1986).
Prix Prometheus en 1987.

Je voudrais vous présenter un roman de Science Fiction écrit par un scientifique américain libertarien, ce qui, vous l’admettrez, n’est pas si courant...
Vernor Vinge est mathématicien. Il est né en 1944 et a été marié à un autre écrivain de SF, d’ailleurs plus connu que lui en France, Joan D. Vinge. Il a commencé à publier des nouvelles de SF dans les années 60 et plusieurs de ses textes sont des classiques comme « True Names » (1981) sur le thème des univers virtuels. Il a vraiment atteint la gloire en 1994 en obtenant le prix Hugo pour son roman « A Fire Upon The Deep » (tr. fr. : « Un feu sur l’abîme » en 1994, un space opera à la fois classique et totalement novateur), prix qu’il a de nouveau obtenu en 2000 pour « A Deepness In The Sky » (tr. fr. : « Au tréfonds du ciel », 2001).

Dans les années 80, il a publié une trilogie qui constitue une sorte de mini « Histoire du futur » avec la mise en place d’une société libertarienne, la Singularité et le voyage possible dans le futur lointain.
Le premier volume s’intitule « The Peace War » (1984) et le second « Marooned In Realtime » (1986). La troisième partie est une nouvelle : « The Ungoverned » (1991).

Les éditeurs français ne se sont pas précipités pour traduire ces oeuvres et seul le deuxième roman est disponible en français. « La captive du temps perdu » puisque c’est de lui qu’il s’agit, est à la fois un roman de hard science (c’est-à-dire que les idées, les réalisations, les découvertes, etc. scientifiques y jouent un grand rôle), un roman policier (il y a un meurtre et il faut découvrir le coupable) et un roman politique (les humains du futur n’ont pas tous les mêmes idées et cela donne matière à affrontements philosophico-politiques). Il faut cependant bien reconnaître que ce dernier aspect tient une place mineure dans le récit, c’est peut-être pour ça que ce texte là a été traduit alors que les autres ne l’ont pas été...

L’histoire se passe environ 50 millions d’années dans le futur. L’Humanité a à peu près complètement disparu au XXIII ème siècle, c’est ce que les survivants appellent la « Singularité » ou
« l’Extinction » selon leur choix philosophique. Où sont passés les Humains ? On ne le sait pas. Peut-être l’Humanité s’est-elle détruite elle-même, peut-être des Extraterrestres ont-ils exterminé la race humaine. Ce qui est sûr, c’est que le progrès scientifique et technologique n’a cessé de s’accélérer et que la civilisation du XXIII ème siècle était incroyablement puissante.

Les quelques 300 survivants, héros du livre, sont des voyageurs temporels en « stase » au moment de la Singularité. Pour différentes raisons, ce sont des personnes qui se trouvaient dans une « bulle temporelle » à ce moment là. Les bulles sont des machines programmables à l’intérieur desquelles le temps cesse de s’écouler. Elles sont inaccessibles de l’extérieur et ne peuvent emmener leurs passagers que dans le futur.
Ces voyageurs se divisent en deux groupes : les paléo-techs et les néo-techs. Les premiers sont les plus anciens voyageurs du temps. Leur technologie est relativement primitive et certains d’entre eux viennent d’une société libertarienne. Les seconds sont incommensurablement mieux équipés mais sont peu nombreux. Si tous unissent leurs forces, la civilisation pourra renaître mais ce n’est pas gagné d’avance...

Le roman démarre réellement quand l’une des néo-techs les plus puissantes, Marta Korolev, est victime d’un meurtre. Elle est laissée hors de sa bulle lors de la stase finale et abandonnée sans équipement dans un environnement hostile. Elle survivra sur une Terre quasiment vierge pendant environ quarante ans.
L’un des paléo-techs, Will Brierson, qui a été policier avant d’être victime d’un grand saut dans le futur, va mener l’enquête car ce sont probablement tous les survivants qui sont menacés. Le journal tenu par Marta, dont de longs extraits sont cités dans le roman, va lui servir de guide. J’ai lu pas mal de romans policiers mais j’avoue que ce meurtre là est absolument terrifiant...

Revenons un instant à la problématique politique du récit. Parmi les paléo-techs, il y a une majorité de libertariens car pour Vernor Vinge, le futur sera libertarien, pas de doute là-dessus. Mais il y a aussi des personnes rescapées de sociétés plus proches de la notre : les Néo-Mexicains et les Pacifieurs qui, à une certaine époque, ont instauré une dictature pacifiste sur Terre. Il est assez amusant de voir les Néo-Mexicains et les Pacifieurs tenter de convaincre les Libertariens de la nécessité, vu les circonstances, de rétablir la démocratie et de donner le pouvoir à la majorité...

D’un point de vue presque philosophique, le concept de « Singularité » est fascinant. Le progrès technique s’accélérant sans cesse, Vernor Vinge explique dans sa postface que, d’après lui, la Singularité se rapproche à grande vitesse et que « c’est nous... qui comprendrons la nature de la Singularité de la seule manière possible : en la vivant. »
On obtient donc au final un récit passionnant pour peu qu’on se donne la peine d’insister un peu car le récit est assez complexe et les idées et réflexions de l’auteur très riches. Mais ça en vaut la peine. Quel dommage que les autres titres de la série ne soient pas traduits en français !

Sylvain

P.S. : dans la réédition au Livre de Poche, on pourra très bien se dispenser de lire la préface de Gérard Klein. En effet, après quelques réflexions intéressantes sur le voyage dans le temps dans la littérature de Science Fiction et vu d’un point de vue scientifique, il se perd dans un discours concernant le nombre peu élevé des lectrices de SF et tente de nous expliquer par la psychanalyse le pourquoi de cet étrange phénomène. Quel rapport avec « La captive du temps perdu » ? Je cherche encore...

Autres textes de Vernor Vinge traduits en français :

- « Les traquenards de Giri » (roman) éd. OPTA col. « Galaxie/bis » n°77 (1981)
Sur Giri, presque tous les habitants ont le don de téléportation.
V. Vinge a fait un effort pour rendre crédible une société organisée en fonction de ce don.
Sinon, c’est l’histoire de deux naufragés terriens sur cette planète médiévale. Fait penser à Jack Vance, en moins bien quand-même.

- « Situation privilégiée » (nouvelle) in « La grande anthologie de la Science Fiction : Histoire de survivants » Le Livre de Poche n°3776 (1983)
Dans un futur où l’hémisphère nord de la planète a été détruit par une guerre atomique, une rencontre avec les derniers survivants de l’apartheid sud-africain. Intéressant mais obsolète.
 
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Robert Heinlein : « Révolte sur la Lune »
Edition originale : « The moon is a harsh mistress » (1965 en magazine, 1966 en livre).
Ce roman a obtenu le prix Hugo en 1967 et le prix Prometheus catégorie "Hall of Fame" en 1983.
Editions françaises (traduction de Jacques de Tersac):
1 : éditions OPTA, CLA n°29 (1971) ;
2 : Livre de Poche n°7032 (1978) ;
3 : Presses Pocket n°5278 (1988) ;
4 : éditions Terre de Brume, col. "Poussière d'étoiles" (2005, traduction de Jacques de Tersac révisée par Nadia Fischer).

« Il faudrait un long article, que j’écrirai peut-être un jour, pour débattre de tout ce qu’il y a de bon dans ce livre. »
David Friedman : « Vers une société sans Etat » (Editions Les Belles Lettres, 1991, page 368).

"Le meilleur roman de Science Fiction que j'ai jamais lu... et de loin."
Mélodius.

Nous sommes en 2075. Bien que la disette et la surpopulation y soient chroniques, la Terre est en paix sous l’égide des « Nations Fédérées » (une sorte d’ONU, en plus « musclée »). La Lune est habitée par plusieurs millions de personnes. Des bagnards et des déportés y ont fait souche et, pour des raisons physiologiques (car la gravité est plus faible sur la Lune et au bout d’un certain temps, le corps se modifie), ils ne peuvent revenir sur Terre. Leur principale occupation est la production de céréales dans de gigantesques galeries souterraines, céréales qui sont ensuite envoyées sur Terre.
Comme son titre l’indique, ce roman raconte la révolte des habitants « lunatiques » qui veulent que leur indépendance soit reconnue par les nations terriennes. Après pas mal de péripéties, dont des bombardements de la Terre par des rochers catapultés de la Lune, et avec l’aide d’une intelligence artificielle, ils réussiront.

L’intérêt principal de ce livre est la description que fait Heinlein de la société sélénite qui s’est développée à peu près librement sans beaucoup d’interférences de la part des Terriens qui se désintéressent de son sort tant que les céréales continuent d’arriver.
La Lune est dirigée par un « gouverneur » représentant l’administration terrienne. Son rôle est donc de veiller au départ régulier des « péniches » transportant les céréales.
Vues les conditions initiales du peuplement de la Lune (des déportés et des bagnards), les femmes sont beaucoup moins nombreuses que les hommes. Ce point de départ, ajouté aux conditions d’existence très dures, explique certaines particularités de la société lunaire. Les femmes ont un rôle très important ; ce sont elles qui sont la base des familles et des clans qui se sont constitués au fil du temps et la polyandrie est courante.
La « révolution » est le fait d’un petit groupe d’hommes et de femmes « éclairés », une conception visiblement inspirée du léninisme même si Heinlein rend des hommages appuyés à la guerre d’indépendance américaine.
Sur la Lune, il n’y a pas d’institution étatique, pas d’impôts, pas de « services publics », c’est le règne du pragmatisme et de « l’auto-organisation ». Je ne détaille pas plus, j’ai mis quelques extraits significatifs à la suite de cette présentation.

Robert Heinlein (1907-1988) est un des plus importants écrivains de Science Fiction dans son pays d’origine : les Etats-Unis. L’influence de ses récits a été considérable et les qualités de ses textes sont la solidité de l’intrigue, l’intérêt pour le progrès scientifique et technique et l’optimisme dans l’avenir de l’humanité. Une grande importance est accordée au thème de la liberté qui revient dans de nombreux récits.
Robert Heinlein a obtenu quatre prix Hugo, la plus haute récompense pour des oeuvres de Science Fiction.

En France, la situation a été différente. Bien accueilli dans les années 50 (*), il a été ensuite étiqueté écrivain « de droite » (dans le meilleurs des cas), et ses textes ont été très souvent dévalorisés et méprisés en plus d’être incompris. Il faut dire que les critiques et les directeurs littéraires de collection de SF en France sont tous marqués bien à gauche et que cette tendance s’est nettement aggravée avec le temps...
Le roman « Révolte sur la Lune » est donc logiquement passé quasiment inaperçu des critiques.

La dernière fois que l’on a parlé de Robert Heinlein a été la sortie du film « Starship Troopers » de Paul Verhoeven, car adapté de « Etoiles garde-à-vous ! », un autre roman du même auteur.

Dans « Révolte sur la Lune », Heinlein ne cache pas ses sympathies libertariennes (mais peut-être que le terme est anachronique pour un roman datant de 1965 ?) . Ayn Rand est citée (sous le nom de « Randite », ch. 6) et l'on rencontre un « anarchiste rationnel » (qui défend des idées en fait libertariennes). John Galt, le héros de Ayn Rand est mentionné dans le chapitre 9.
Par ailleurs, il rend de multiples hommages à Sherlock Holmes.

D’un point de vue critique, je ferai deux réserves sur les idées exprimées dans ce livre :

- Heinlein s’appuie sur les idées de Malthus (ch. 18) pour expliquer la situation de disette permanente, que connaît la Terre dans son roman. Le malthusianisme ayant été depuis longtemps réfuté, il aurait été plus juste, à mon avis, et en tout cas plus conforme à l’histoire de ces cinquante dernières années, d’incriminer la collectivisation de l’agriculture par exemple.

- Je ne suis pas sûr que des familles composées de plusieurs maris et de plusieurs femmes vivants ensembles avec leurs enfants puissent réellement exister. C’est une structure peut-être trop contraire à la nature humaine pour durer bien longtemps même si les conditions extrèmes favorisent les innovations qui permettent la survie (lire à ce sujet « Comment fonctionne l’esprit » de Steven Pinker, édition Odile Jacob, chapitre 7 : « Les valeurs familiales », en particulier pages 502 et suivantes).

Mais ne boudons pas notre plaisir. Robert Heinlein a toujours écrit et défendu une Science Fiction humaniste et individualiste : que demander de plus ?

Sylvain

(*) La revue « Fiction » a ainsi publié trois romans de Robert Heinlein en 1957, 1958-59 et 1960-61.

Extraits :

La famille :
« Prenons mon propre cas. J’ai l’honneur d’être membre d’un des plus anciens ménages familiaux de Luna, un des meilleurs aussi à mon avis, mais je suis sans doute partial. Vous m’avez posé une question sur le divorce. Notre famille n’en a jamais connu et je parierai n’importe quoi qu’elle n’en connaîtra jamais. Un ménage familial trouve plus de stabilité d’année en année, acquiert de l’expérience dans les relations communes, si bien qu’il serait inconcevable qu’un de ses membres, n’importe lequel, pense seulement à le quitter. Il faudrait en outre le consentement unanime de toutes les femmes pour divorcer avec un mari... ce qui est impossible. » (ch. 18)

La démocratie :
« Vous pourriez même envisager de déclarer élus les candidats qui obtiendraient le moins grand nombre de suffrages ; les hommes impopulaires sont peut-être justement ceux qui peuvent nous sauver d’une nouvelle tyrannie. (...) Tout au cours des siècles passés les gouvernements désignés par la ferveur populaire n’ont pas été meilleurs, ils ont même parfois été pires que les tyrannies déclarées. (...)
Supposons qu’au lieu d’être désigné par l’élection, un député soit désigné par une pétition signée de quatre mille citoyens ; il représenterait réellement ces quatre mille électeurs et n’aurait pas de minorité contre lui puisque, s’il y avait eu une minorité dans sa circonscription électorale, les membres de cette minorité auraient parfaitement eu le droit soit de signer d’autres pétitions, soit de signer la sienne. » (ch. 22)

Deux chambres ? :
«C’est excellent : plus il y a d’obstacles au pouvoir législatif, mieux cela vaut. Pourtant, au lieu de suivre la tradition, je proposerais, moi, qu’il y ait une Chambre législative et que la deuxième Chambre ait pour seul devoir d’abroger les lois. Que les législateurs ne puissent adapter une loi qu’avec une majorité des deux tiers... tandis que ceux qui abrogeraient les lois puissent annuler n’importe quelle loi à la simple majorité d’un tiers. (...) Pensez-y encore une fois : si une loi est tellement discutée qu’elle ne peut convaincre les deux tiers d’entre vous, ne vous semble-t-il qu’une telle loi ne peut être que mauvaise ? Et, inversement, si une loi est discutée par au moins un tiers d’entre vous, ne vous semble-t-il pas, aussi, que vous auriez avantage à vous en passer ? » (ch. 22)

Les impôts :
« ... à moins, encore, que vous, Messieurs les députés, ne deviez être des contribuables volontaires et ne deviez payer pour nos besoins, quels qu’ils soient ; (...) En effet, si vous croyez réellement que vos voisins doivent, pour leur propre bien, subir des lois, pourquoi ne serait-ce pas à vous de payer pour ces lois ? Camarades, je vous en conjure, ne vous laissez pas aller aux impôts obligatoires. Il n’y a pas de pire tyrannie que celle qui oblige quelqu’un à payer pour ce qu’il ne veut pas, uniquement parce que vous pensez que c’est pour son bien. » (ch. 22)

La monarchie :
« Un roi peut seul protéger le peuple de la tyrannie... et surtout de la pire des tyrannies, la sienne. Prof conviendra parfaitement pour ce poste... justement parce qu’il ne désire pas cette charge. » (ch. 22)

La médecine :
« (qu’est-ce que c’est un médecin diplômé ? Le guérisseur chez lequel je vais a sur sa porte une plaque où est inscrit « docteur artisan », et il a mis ses livres de côté, c’est d’ailleurs pourquoi je vais chez lui.) » (ch. 14)

L’école :
« Les écoles publiques ? Nous avons des écoles dans tous les terriers et je n’ai jamais entendu dire qu’elles aient renvoyé des élèves, aussi il me semble qu’on peut dire qu’elles sont « publiques », mais elles sont payantes, elles aussi, et elles sont chères, parce que tous ceux qui, sur Luna, connaissent quelque chose d’utile et acceptent de l’enseigner, tous ceux-là demandent le maximum. » (ch. 17)

La justice : un procès est narré dans le chapitre 11. A ne pas rater...

Références complémentaires :
- « Révolte sur la Lune », critique de Jean-Pierre Andrevon in « Horizons du Fantastique » n°16 (Juillet 1971).
- « Un juvénile patriarche » de Demètre Ioakimidis, introduction au « Livre d’or de Robert Heinlein », Presses Pocket n°5102 (1981).



Post-scriptum ou... les critiques lisent-ils les livres qu’ils critiquent ?

Par curiosité, j’ai cherché dans les essais sur la Science Fiction parus en français les mentions du roman de Robert Heinlein « Révolte sur la Lune ».
Florilège :

"(...) en 1967, La Lune est une Dure Maîtresse, description d'un monde futur où le communisme a triomphé partout, mais où le communisme dynamique des colonies lunaires se heurte au communisme fossilisé de la Terre. C'est une brillante description de l'actuel conflit entre Moscou et Pékin, entre le communisme classique et le gauchisme. Evidemment, depuis que ce livre est paru, ceux qui traitaient Heinlein de fasciste ne savent plus où se fourrer."
- Jacques Bergier, préface à "Une porte sur l'été" de R. Heinlein, éd. Rencontre (1970).

« Le catalyseur de la révolution est un chef mythique à l’image de Fidel (sic) - et que ce chef soit un ordinateur qui s’est doté d’une personnalité fictive : « Adam Selene », ne change rien à l’affaire, si ce n’est de mettre de l’eau dans le moulin de la science-fiction.
D’autres parts, les péripéties de la révolte sont bien calquées sur l’aventure cubaine. (...)
D’autre part, ils n’exercent eux-mêmes le pouvoir que (si je puis m’exprimer ainsi) « du bout des lèvres », et ne rêvent que de s’en débarrasser : ils se réclament d’ailleurs de l’anarchisme, lequel possède des frontières troubles avec la théorie de la « libre propriété » (économiquement parlant s’entend). »
- Jean-Pierre Andrevon, « Horizons du Fantastique » n°16 (1971), critique du roman « Révolte sur la Lune », page 42.

« Et on est étonné, sous la plume d’un écrivain réputé réactionnaire, de trouver une description juste et sympathisante d’une révolution de type trotskyste-castriste. »
- Jean-Pierre Andrevon in « L’année 1978-1979 de la Science-Fiction et du Fantastique » de Jacques Goimard, éd. Julliard (1979) page 159.

« ...de même que Révolte sur la Lune (1970), dont le style est particulièrement odieux - confidence au lecteur - mais qui contient une idée utopique de premier ordre...» (suit une longue citation sur ce qu’est une bonne Constitution, à savoir une liste d’actions qu’un gouvernement devrait s’engager à ne jamais faire.)
- Pierre Versins : « Encyclopédie de l’utopie, des voyages extraordinaires et de la science fiction », éd. L’Age d’Homme (1972), page 410.

« L’auteur suppose que le communisme a triomphé partout sur la Terre puis dans les planètes colonisées du système solaire. Le thème est le heurt du communisme gauchisant et dynamique de la colonie lunaire avec le communisme stalinien et déviationniste de la Terre. »
- Jacques Sadoul : « Histoire de la Science Fiction moderne », éd. Albin Michel (1973), page 225 (texte identique dans les rééditions actualisées de 1975 et de 1984).

« ...avec Révolte sur la Lune où l’auteur prend certes parti contre le communiste (sic) stalinien, censé avoir gagné toute la Terre, mais pour le communiste libertaire au nom duquel notre satellite proclame son indépendance comme le firent en 1776 les colonies anglaises d’Amérique ? »
- G. W. Barlow : « La science-fiction », MA éditions (1987), page 108.

« Quelques années plus tard, Révolte sur la Lune (1966), qui dénonce le communisme stalinien tout en célébrant une sorte de gauchisme libertaire, achève de semer la confusion chez ceux qui, avec plaisir ou dédain, ne voient en Heinlein qu’un auteur militariste et réactionnaire. »
- Lorris Murail : « Les maîtres de la science-fiction », éd. Bordas, col. « Les compacts » (1993), page 123.

« Une oeuvre anarcho-socialisante (sic) qui se souvient de la Déclaration d’indépendance des Etats-Unis. »
- Stan Barets : « Catalogues des âmes et cycles de la SF », éd. Denoël, col. Présence du Futur n°275 (1979), page 138.
Le texte est identique dans la réédition de 1981 mais change en 1994 :

« Une oeuvre libertaire qui se souvient de la Déclaration d’indépendance des Etats-Unis. »
- Stan Barets : « Le science-fictionnaire » tome 1, éd. Denoël, col. Présence du Futur n°548 (1994), page 207.

« C’est pourtant le même Heinlein qui écrira le libertaire Révolte sur la Lune (1966)... »
- Denis Guiot : « Dictionnaire de la science-fiction », Le Livre de Poche n°1510 (1998), page 82.

Jacques Bergier avait-il réellement lu "The Moon is a Harsh Mistress" en 1970 ? C'est possible mais j'ai tendance à en douter car il est connu pour avoir beaucoup fabulé dans ses commentaires et ses affirmations. Jean-Pierre Andrevon a lu le roman et a bien senti l’odeur de souffre qui s’en dégage pour un gauchiste. Un point pour lui. Dommage qu’il persiste dans son analogie avec la dictature communiste cubaine qui n’a quand même pas grand-chose à voir... Pierre Versins a lui aussi lu ce roman.
Mais les autres ? Jacques Sadoul qui est en général fiable a simplement recopié Bergier. Revenons d'ailleurs un instant sur l'interprétation politique qui est proposée. Le communisme partout présent sur Terre ? Non, car si dans le roman, il est fait mention d’une dictature en Amérique du Nord ayant des projets d’ingénierie sociale et économique, on peut aussi y constituer des sociétés capitalistes « classiques » similaires à celles que nous connaissons. L’ensemble de la planète est plus ou moins dirigée par une « super ONU » qui a réussi à faire interdire les armes offensives. Il s’agit donc d’un système interventionniste et étatiste comparable aux projets des gouvernements actuels plus que d’une dictature « stalinienne » proprement dite. Quelques années plus tard, Barrow et Murail se contenteront de consulter « le » Sadoul.

Conclusion : Bergier, Sadoul, Barrow et Murail n’ont très probablement pas lu ce roman... mais sont obligés de le mentionner car il a obtenu le prix Hugo en 1967. Cela expliquerait leur sous-estimation de l’importance de ce livre. Stan Barets l’a peut-être lu et ne sait d’ailleurs pas trop comment le qualifier (une oeuvre « anarcho-socialisante », c’est mignon, non ?). Mais peut-être s’est il contenté de lire la critique d’Andrevon...
Une révolution libertarienne comparée au maoïsme, au trotzkisme, à la dictature cubaine, l’indigence des textes consacrés à ce roman est grande. Mais je pense que dans les années à venir, l’oeuvre de Robert Heinlein sera redécouverte et l’importance et la richesse thématique de « Révolte sur la Lune » enfin reconnue.

P.P.S. : enfin un article digne de ce nom sur « Révolte sur la
Lune » !
Il s’agit d’un article de Francis Valéry paru dans la revue « CyberDreams » n°10 en 1997 (page 105) et dont le titre est : « Révolte sur la Lune : la révolution libertarienne selon Robert Heinlein ». Cet article est maintenant disponible sur le web ICI.
Francis Valéry résume correctement le roman et en fait de longues citations. Il examine d'assez près la validité scientifique des idées d'Heinlein et passe aussi en revue ses idées concernant le fonctionnement de la société « lunatique ». Là où cela devient plus intéressant, c’est quand Valéry se risque à expliquer ce qu’est (sera ?) la révolution libertarienne. Après avoir dénoncé les « intellectuels de gauche européens » pour leur complaisance à l’égard du communisme (même si ce dernier terme n’est pas employé...), il a quelques mots pour expliquer qu’Heinlein n’était pas fasciste mais que c’était « un homme libre et conscient des limites de sa liberté ». Je ne suis pas sûr de comprendre ce que Valéry veut dire exactement. Accordons lui le bénéfice du doute... Il dénonce ensuite « la pieuvre étatique qui entend régenter la vie des libres-citoyens (sic), circonscrire leurs droits, programmer leur avenir. » Pas mal, mais un peu court... De plus, Francis Valéry ne mentionne pas Ayn Rand, pourtant nommée dans le roman. Dommage. Encore un effort, Francis, tu es sur la bonne voie !

Sylvain

Liens :

- Un entretien très intéressant avec Ugo Bellagamba qui prépare un essai sur la vie et l'oeuvre de Robert Heinlein.
- Ma présentation du recueil "Révolte en 2100" du même Robert Heinlein.



L'édition ci-dessus est parue aux éditions Berkley en 1968 et l'auteur de l'illustration en est Paul Lehr. Pour la petite histoire, cette illustration a été ré-utilisée en France en 1975 pour le roman d'Arthur C. Clarke "Lumière cendrée" dans la collection Science Fiction du Masque. C'était le n°27 de la collection :



Pour finir, deux éditions russes récentes :



 

 
   
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