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29.5.03
 
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Ursula K. Le Guin : « Les dépossédés »
Editions françaises : 1 : Laffont col. "Ailleurs et Demain" (1975 et 2000) ;
2 : Presses Pocket n°5159 (1983).
Edition originale : « The Dispossessed » (1974).
Traduit par Henry-Luc Planchat.
Prix Hugo en 1975 et prix Prometheus catégorie « Hall of Fame » en 1993.
N.B. : les pages indiquées font référence à l’édition Robert Laffont.

J’ai toujours eu du mal avec les textes d’Ursula K. Le Guin. Je trouve son style trop littéraire, souvent ennuyeux et les bonnes idées qu’elle utilise ne sont souvent pas d’elle. Mais c’est une militante écolo-féministe de gôche et ses écrits rencontrent un grand écho. C’est sans doute l’auteur de SF à qui on a consacré le plus d’études universitaires (mais ne me demandez pas si c’est bon signe...).

Son roman « Les dépossédés » est une des rares tentatives de description d’une utopie socialiste qu’on trouve dans la Science Fiction moderne (j’utilise ici le mot « socialiste » au sens large incluant l’anarchisme collectiviste).

Donc deux planètes apparemment de taille similaire tournant ensemble, chacune étant la lune de l’autre. La première, Urras, est comparable à la Terre actuelle avec une grande variété de climats, de ressources et des pays indépendants organisés autour de systèmes politiques différents. L’autre, Anarres, est désertique et aride, à peine habitable et plusieurs millions de personnes dont les ancêtres se sont exilés d’Urras cent soixante-dix ans auparavant tentent d’y survivre dans le cadre d’une société anarchiste.
Nous suivons les pérégrinations du physicien annaresti Shevek qui va être amené à partir pour Urras, la planète ennemie afin d’y poursuivre ses recherches sur une nouvelle physique qui permettrait aux vaisseaux spatiaux d’aller plus vite que la lumière et de rapprocher l’humanité dispersée dans plusieurs systèmes solaires. C’est dire si ces travaux sont suivis avec attention.
Sur cette trame narrative, Ursula Le Guin brosse un portait contrasté de l’utopie annarestie et de la planète Urras, repoussoir calqué sur notre propre monde ou plutôt sur l’image que s’en fait l’auteur.

D’un côté donc, une population peu nombreuse, pauvre, à la merci de la sécheresse et même de la famine. Pas de gouvernement, pas d’autorité, du moins officiellement mais la solidarité, et les biens mis en commun car la propriété privée n’existe pas. Les enfants ne restent en permanence avec leurs parents que jusqu’à l’âge de deux ans. Après ils passent de plus en plus de temps dans des « centres d’éducation » et passent la nuit dans des dortoirs collectifs. Shevek va peu à peu se rendre compte que tout n’est pas parfait, loin de là, dans cette société. Il sera par exemple séparé de la femme qu’il aime et de leur premier enfant pendant plusieurs années car, au nom de la situation d’urgence due à la sécheresse, ils ne peuvent travailler et vivre au même endroit et ils sont envoyés à des postes très éloignés l’un de l’autre pendant quatre ans.
Les Annarestis se sont coupé volontairement du reste de l’univers et seuls quelques cargos provenant d’Urras atterrissent chaque année d’où une mentalité de citadelle assiégée un peu paranoïaque associée à une morale puritaine (sauf en ce concerne le sexe). Toujours à l’occasion de la sécheresse, on voit la bureaucratie prendre de l’importance et les idées dissidentes peuvent vous mener à l’asile psychiatrique (pp 331 et 332) !
Ces anarchistes ont aussi créé leur propre langue censée correspondre à leur mode de vie. Par exemple, les marques de possession sont quasiment absentes (on ne dit pas « ma » mère mais « la » mère) et le même verbe signifie « jouer » et
« travailler » (sic).

De l’autre côté, la luxuriante planète Urras, sa prospérité et ses richesses mais aussi ses pauvres exploités et misérables (p. 289), ses révoltés et la répression policière que Shevek verra de très près (pp 306 et 310). Cette planète est divisée en plusieurs Etats mais il passera tout son séjour en A-Io, pays capitaliste de type occidental. Toutes les tares réelles ou supposées du capitalisme sont bien sûr abondamment décrites dans ce roman : la propriété privée, la hiérarchie, l’armée (p. 310), la guerre pour détourner le peuple de son désir de révolution (p. 292), la soumission forcée des femmes (p. 221), etc.
L’impression d’ensemble n’est cependant pas totalement cohérente car d’une part l’auteur nous dit que les pauvres ne sont pas vraiment pauvres dans cette société et d’autre part elle nous explique qu’il y a des pauvres vraiment pauvres mais dans son roman, ce ne sont que des ombres. Ursula Le Guin n’est visiblement pas à l’aise pour décrire la misère qui pour elle doit être terriblement abstraite. Elle est un peu plus à l’aise pour montrer des travailleurs syndiqués en grève ou manifestants contre la guerre.
Je crois que l’on touche là un des problèmes de la littérature de science-fiction qui se prétend engagée : les auteurs qui affichent leur volonté de changement social dans un sens collectiviste ne savent tout simplement pas de quoi ils parlent et la vie des vrais pauvres leur est inconnue, tout comme les mécanismes de la création réelle de la pauvreté qui leur sont bien mystérieux. Comment expliquer autrement leur aveuglement à promouvoir coûte que coûte des changements sociaux qui ne font que multiplier le désespoir et le nombre de pauvres ? Après tout, il est quand même remarquable que plus une société est collectivisée, plus les pauvres y sont nombreux et maltraités !



Au détour du roman, on apprendra l’existence de l’Etat de Thu qui lui est de type soviétique (p. 145). Quel dommage qu’Ursula Le Guin n’ait pas consacré quelques pages à décrire ce pays ! J’aurais aimé savoir ce qu’elle pensait des pays communistes qui au début des années 70 quand elle a écrit ce roman se portaient apparemment très bien. Dommage que le sort des peuples sous la botte soviétique ne l’ait pas plus intéressé !

Sinon, l’organisation du roman n’est pas linéaire et l’auteur entremêle des épisodes de l’enfance et de la jeunesse de Shevek se passant sur Annares et les épisodes racontant sa découverte d’Urras.

En conclusion ? Ursula Le Guin sait que sa société rêvée sera une société pauvre, misérable et étriquée... mais elle fait de nécessité vertu et transforme cette aliénation en morale puritaine oh combien désirable pour les intellectuels révolutionnaires marxistes. Elle trouve même le moyen de décrire brièvement la Terre, notre Terre, ravagée par la pollution et la surpopulation (p. 352). Décidément notre futur est bien sombre et face à ce catastrophisme idéologique, il sera bien difficile de résister aux tentations totalitaires...

Sylvain

P.S. : Ursula Le Guin est revenue sur cette histoire dans une nouvelle « The Day Before The Revolution » parue également en 1974. Elle y raconte la dernière journée d’Odo, la fondatrice de la société annarestie alors âgée de plus de soixante-dix ans. Un texte confus et sans grand intérêt.
En français : « A la veille de la révolution » in Galaxie n°135-136 (août-septembre 1975) ;
repris une première fois dans « Le livre d’or de la science-fiction : Ursula Le Guin » (éd. Presses Pocket n°5012, 1977 ; à noter que ce recueil de nouvelles a été réédité chez le même éditeur sous le titre "Etoiles des profondeurs" dans la série "Le grand temple de la science-fiction" en 1991) ;
repris une deuxième fois dans "Le livre d'or de la science-fiction : Encore des femmes et des merveilles", une anthologie réunie et présentée par Pamela Sargent (Presses Pocket n°5058, 1979).

P.P.S. : boutade :
Qu’est-ce que la Science Fiction ? Une histoire dans laquelle un auteur peut écrire sans sourciller: « l’administration devait travailler avec rapidité et efficacité » (page 105) !

Références complémentaires sur Ursula K. Le Guin :
- « Ursula K. Le Guin ou la lumière » par Marc et Christian Duveau in Galaxie n°86 (Juillet 1971).
- « La nébuleuse du crabe, la paramécie et Tolstoi » par Ursula K. Le Guin in recueil « Le monde de Rocannon/Planète d’exil/La cité des illusions » CLA n°40 (éd. OPTA, 1972).
- « Ursula K. Le Guin : une morale pour le futur » par Anthelme Donoghue in Univers n°4 (éd. J’ai lu, mars 1976).
- « Une définition de l’humanité » par Gérard Klein, préface à « Le livre d’or de la science-fiction : Ursula Le Guin » (op. cit.).

Références complémentaires sur « Les dépossédés » :
- « Le nouveau chef d’oeuvre d’Ursula K. Le Guin » par Philippe R. Hupp in Galaxie n°128 (janvier 1975).
- Critique par Jean Milbergue parue dans le fanzine "A la poursuite des Sffans" n°1 (janvier 1976).
- « Science-Fiction : une histoire illustrée » par Dieter Wuckel (éd. Leipzig, 1988), pages 176.
- « A la veille de la révolution » par Ursula K. Le Guin, avant-propos à la nouvelle éponyme in « Le livre d’or de la science-fiction : Ursula Le Guin » (op. cit.).
- "Retour sur Les dépossédés" par Pierre K. Rey in Fiction n°349 (mars 1984).

Mauvaise langue ?
Jacques Sadoul a écrit :
"Venons-en maintenant au chapitre des récompenses. Le roman de Ursula Le Guin, The Dispossessed, dont une traduction française doit paraître dans la collection Ailleurs et Demain, a obtenu le Nebula puis le Hugo. Le premier prix est attribué par les professionnels américains, le second par les fans lors de la Convention mondiale annuelle. A dire vrai, ce résultat était déjà annoncé ouvertement l'an dernier à la Convention de Washington. Or, à cette époque, le vote ne devait avoir lieu qu'un an plus tard !
Quelques auteurs de S-F, méchants, il y en a, avaient même insinué que Mrs LeGuin n'avait accepté d'être l'invitée d'honneur à la Convention de Melbourne, cette année, que parce qu'elle savait y recevoir le Hugo.
Après tout, le don de double vue, ça existe, non ?"

Jacques Sadoul in revue "Univers n°3 (éd. J'ai lu n°629, décembre 1975) page 182.


18.5.03
 
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Eric Frank Russell : « La grande explosion »
Edition OPTA, CLA n°69 (1978), comprend également un autre roman du même auteur : « Le sanctuaire terrifiant ».
Edition originale : « The Great Explosion » (1962).
Traduction : C. et L. Meistermann.
Prix Prometheus catégorie « Hall of Fame » en 1985.

Auteur britannique, Eric Frank Russel a fait presque toute sa carrière aux Etats-Unis. Il est l’auteur d’un classique de la Science Fiction : « Sinister Barrier » (1939, en français « Guerre aux invisibles », 1952) sur le thème du « Ils sont parmi nous... » dans lequel les invisibles Vitons se nourrissent de nos émotions négatives. L’homme étant naturellement bon et généreux, ils induisent nos comportements violents comme la guerre, les meurtres et autres atrocités.

Pas d’extraterrestres dans « La grande explosion » mais un roman au ton franchement humoristique et dont la lecture est très agréable.
Point de départ : après qu’un quasi-demeuré a inventé par hasard le moyen de voyager plus vite que la lumière, la moitié de l’humanité a pris le chemin des étoiles.

« Les vaisseaux Blieder essaimèrent tandis que toutes les familles, religions, cliques et bandes qui pensaient que c’était mieux ailleurs partirent sur les pistes des étoiles. Instables, ambitieux, mécontents, martyrs, excentriques, asociaux, excités et simples curieux filèrent par dizaines, par centaines, par milliers, par dizaines de milliers. »
(Prologue)

C’est ça la « Grande Explosion ». Quatre cents ans plus tard, les Autorités Terriennes décident de réunir dans un empire galactique les mondes ainsi colonisés car des extraterrestres hostiles pourraient un jour - qui sait ? - surgir des profondeurs de l’espace. Des expéditions chargées de reprendre contact sont organisées et nous allons suivre l’une d’elle.
Placé sous l’autorité d’un Ambassadeur Impérial, le vaisseau visitera successivement quatre planètes avec mission d’établir un traité d’alliance avec les descendants des exilés et de laisser sur place une ambassade et une garnison.

La première planète visitée est peuplée par les descendants de bandits et de criminels exilés là de force. Les habitants sont organisés en « forts » indépendants comptant jusqu’à plusieurs milliers de personnes. Les femmes peu nombreuses à l’origine ont une grande liberté et sont libres de quitter leur fort si aucun habitant mâle ne leur convient. Robert Heinlein dans « Révolte sur la Lune » se souviendra de cette idée. Les hommes, eux, sont surtout occupés à en faire le moins possible et à chaparder tout ce qu’ils peuvent car leur mépris pour le travail est impressionnant. Il n’y a ni autorité centrale, ni gouvernement et les Terriens repartiront sans avoir pu établir leur ambassade...

La seconde planète, Hygéia, est très différente. Elle a été peuplée par deux groupes : d’une part les Fils de la Liberté, d’autre part les Naturistes.
Si les Fils de la Liberté ont quasiment disparu, les Naturistes se portent bien. Ils vouent un culte à la bonne forme et à la santé physique. Ils vivent nus, passent leur temps à faire du sport et ne consomment aucune substance néfaste. Chaque Hygéien entrant en contact avec les Terriens doit d’ailleurs se faire désinfecter...
Après quelques quiproquos, notamment à propos de la nudité des habitants (le roman date tout de même de 1962), les Terriens réussiront à établir une ambassade. Elle sera installée sur une île afin de ne pas risquer de contaminer les autochtones. Mission accomplie donc.

La troisième planète est déserte et inhabitée, seules quelques ruines subsistent d’une occupation humaine. Fort prudemment, par crainte de contagion par une maladie mortelle inconnue, les Terriens ne se poseront pas.

Mais la planète la plus intéressante est la quatrième. Les Terriens y atterrissent dans l’indifférence générale. Pas un habitant ne se dérange pour les rencontrer. Un peu vexés, les visiteurs vont tenter de capturer de force un des habitants. Il y aura plusieurs tentatives infructueuses. Lors de l’une d’elles, les Terriens arrêteront un bus qui passe sur une route passant à proximité du vaisseau. Ils constateront avec surprise que les passagers et le chauffeur sont menottés par les chevilles à leur siège...
Finalement, un des soldats sera envoyé seul dans la ville voisine car il a apporté avec lui son vélo. Il rencontrera alors des habitants et nous commencerons à comprendre comment fonctionne cette étrange société.
Pour résumer, l’argent n’existe pas et les gens se donnent les uns aux autres ce qu’ils appellent des « obs ». Ce sont des obligations qu’ils se doivent les uns aux autres et qu’ils effacent en donnant un service ou un bien. Par exemple le propriétaire d’un magasin donne ce qu’il a dans son magasin à des pompiers de façon à ce que si son magasin prend feu, les pompiers effacent leurs obligations en venant éteindre l’incendie. Dans le livre, le système fonctionne car les villes sont de petite taille et tout le monde se connaît. Il n’y a pas d’autorité constituée ni de gouvernement. Lorsqu’on propose quelque chose qui ne leur plaît pas aux habitants, ils répondent « Otto », ce qui veut dire « Occupe-Toi de Tes Oignons ! » (en anglais « MYOB », « Mind Your Own Business »(1)).
Le système de propriété est également remarquable. Une ferme ou un champ appartient à celui qui s’en occupe. S’il en a marre, il s’en va tout simplement et quelqu’un d’autre peut prendre sa place sans avoir rien à payer (rappel : l’argent n’existe pas). Cela fait penser me semble-t-il au système préconisé par Murray Rothbard dans « L’éthique de la liberté » (voir en particulier le chapitre 6 : « La philosophie du Droit chez Robinson Crusoé »).

Les Terriens finiront par comprendre que si les passagers du bus étaient attachés à leur siège, c’était pour que eux (les Terriens !) ne puissent les faire prisonniers... On leur expliquera aussi qui était Gandhi (dont les habitants se réclament) et ce qu’est la désobéissance civile.
Après un temps d’observation, les visiteurs séduits par cette société libre commenceront à déserter en nombre le vaisseau pour se fondre dans la population. L’Ambassadeur le fera décoller en catastrophe avant que le manque d’hommes ne rende impossible son utilisation dans l’espace...

Ce roman est un chef d’oeuvre. Drôle, intelligent, plein d’idées, j’en recommande sans réserve la lecture. Il mériterait bien d’être réédité.

Sylvain

(1) : Dans "Vers une société sans Etat" (éditions Les Belles Lettres, 1991, page 369), David Friedman se demande si Eric Frank Russell n'est pas l'inventeur de cette expression. En fait non car on peut entendre cette phrase ("Mind Your Own Business") dans le film de Ernst Lubitsch "The Shop Around The Corner" à la quarante-troisième minute. Ce film date de 1939 et les rôles principaux sont interprétés par Margaret Sullavan et James Stewart.

P.S. : A noter que ce volume du CLA a été illustré de dessins signés Jean-Louis Floch. En 1978, il devait alors débuter.



P.P.S. : E. F. Russell avait déjà utilisé le thème des conquérants assimilés et pacifiés par le peuple qu’ils sont censés avoir conquis dans une nouvelle de 1948 : « Late Night Final », en français : « La fin du voyage au bout de la nuit » in Fiction spécial n°9 (1966).

Références complémentaires :
- « Eric Frank Russell ou la non-violence » par Marcel Thaon in Fiction n°191 (Novembre 1969), repris dans « Guêpe - Plus X » CLA n°53, 1974, éd. OPTA.
- « Croisades contre la connerie » critique par Jean-Pierre Fontana in Fiction n°298 (Février 1979).

Extraits :

(Au moment de départ... )
« Une masse compacte de gens se tenaient derrière les barrières et étudiaient le vaisseau avec des regards bovins de bons contribuables obéissants. Il ne venait à l’esprit d’aucun que quelqu’un avait payé pour cette vision gigantesque, ni qu’il avait été effectué une sérieuse ponction dans leur portefeuille individuel et collectif.
Les gens étaient momentanément incapables de réflexion profonde à propos de la dépense occasionnée. Le drapeau avait été hissé, les orchestres jouaient, c’était un événement patriotique. Les conventions veulent que l’on ne songe pas à l’argent dépensé lors des événements patriotiques ; l’individu qui choisit ce moment-là pour compter l’argent qui lui reste est, par définition, un traître et un bon à rien.
Le vaisseau reposait donc, tandis que le fanion tribal flottait à la brise et que les orchestres produisaient des sonorités tribales et qu’une sélection tribale de braves triés sur le volet montaient à bord à la queue leu leu. »

(chapitre 1)

(Après l’atterrissage sur la quatrième planète, alors qu’aucun habitant ne daigne se déranger...)
« Soit cela, soit ils ont peur. Ou bien encore ils sont tous plus dingues que sur les autres mondes. Pratiquement, toutes ces planètes ont été annexées par des gens bizarres qui voulaient créer un paradis où leurs excentricités pouvaient se donner libre cours. Et les idées folles deviennent alors conventionnelles après quatre cents ans de continuité parfaite. Il est, à ce stade, considéré comme normal et convenable de nourrir l’araignée dans le plafond de votre grand-père. Cela et des générations de croisements peuvent constituer des individus vraiment étranges. Mais nous les guérirons avant d’en avoir fini ! »
(Chapitre 8)

17.5.03
 
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Remarque : existe-t-il une Utopie Socialiste ?

Pierre Versins (1923-2001) a été pendant de nombreuses années LE spécialiste français de la Science Fiction. Il a publié en 1972 une « Encyclopédie de l’utopie, des voyages extraordinaires et de la Science Fiction » aux éditions l’Age d’Homme, un énorme volume de près de 1 000 pages qui visait à l’exhaustivité.
Il s’agit donc de la plus volumineuse étude jamais publiée en français sur le sujet qui nous intéresse ici.
Livre passionnant, touffu et même parfois un peu confus. En plus d’un anti-américanisme fanatique, Pierre Versins avait une sensibilité politique plutôt anarchiste qui transparaît dans ses écrits. Je trouve très intéressante la remarque ci-dessous tirée de l’article « Socialisme » de son encyclopédie.

« Avec la probité qui nous caractérise, nous avons cherché si, là-bas, tout au fond, il n’y aurait pas une utopie sociale, nous n’en demandions pas une grande, non, une minuscule eût suffi à nous combler, quelques pages dans un gros bouquin, et non non non, nous nous sommes épuisés.
Alors nous nous sommes dit, revenant sur nos pas, c’est permis : puisque d’une part, il n’y a pas d’utopie socialiste vraiment, puisque d’autre part la conjecture touche à tout, y compris ce qui n’existe pas, c’est que le socialisme existe moins encore que ce qui n’existe pas. Et nous avons fermé les yeux avec un gros soupir. »

(pages 817-818)

Le bilan est donc terrible : les tentatives d’élaborer (dans la fiction) une utopie social(iste) donnent systématiquement un résultat effrayant car totalitaire. L’utopie se transforme en anti-utopie. Etonnant, non ?

Il est dommage que Pierre Versins, prisonnier de ses oeillères politiques n’ait pas su identifier les utopies décrites dans « Révolte sur la Lune » de Robert Heinlein ou dans « La grande explosion » d’Eric Frank Russell. Il est vrai que ce ne sont pas des utopies sociales...

Sylvain

P.S. : définition de l’anarchisme, d’après le même livre :
« L’anarchie est à notre goût cette forme de pensée politique selon laquelle nous n’aurions pas besoin de gouvernement si tous les hommes étaient bons, honnêtes et intelligents. »
(page 42)
Etonnez-vous qu’avec des conceptions pareilles la révolution ne dégénère en goulag !


16.5.03
 
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Cyril M. Kornbluth : « Le Syndic »
Edition OPTA, CLA n°66 (1977) (comprend également le roman
« Les sillons du ciel » de Frederik Pohl et C. M. Kornbluth).
Edition originale : « The Syndic » (1953).
Traduction : Bruno Martin.
Prix Prometheus catégorie « Hall of Fame » en 1986.

Cyril M. Kornbluth est mort jeune à 35 ans d’une crise cardiaque. Ses récits souvent pessimistes, parfois même cyniques étaient en avance sur leur temps. Nul doute que s’il avait vécu, sa place dans la littérature de Science Fiction aurait été considérable. En l’état des choses, deux de ses trois romans restent encore aujourd’hui au minimum très intéressants. Je vous ai déjà parlé ici de « Ce n’est pas pour demain », roman introuvable en français et jamais réédité qui mériterait bien pourtant de l’être. Je voudrais vous présenter aujourd’hui son roman qui reste le plus connu : « Le Syndic » (paru en 1953) car on y trouve la description d’une société libre.

Dans l’avenir, le gouvernement américain a quasiment disparu. Suite à la révolte des citoyens, il a été chassé d’Amérique et s’est réfugié en Irlande où il a réduit une partie de la population en esclavage. Aux Etats-Unis, l’autorité ou ce qui y ressemble le plus est exercée à l’ouest par le Gang et à l’est par le Syndic. Ce sont deux organisations lointaines descendantes des mafias de notre époque.

Plusieurs membres importants du Syndic ayant été assassinés, nous suivons les tribulations de Charles Orsina qui est envoyé comme espion chez les partisans d’un retour du gouvernement américain. Il va réussir les tests de recrutement grâce à un conditionnement mental et va ainsi pouvoir découvrir le fonctionnement d’un Etat embryonnaire et ses factions qui n’hésitent pas à recourir au meurtre pour régler leurs différents. Il découvrira même une alliance entre les étatistes et le Gang.

Dans ce futur assez sombre, l’Europe est retournée à des conditions de vie proches de l’âge de pierre. Charles Orsina découvrira que le culte des sorcières y est bien vivant et que certaines d’entre elles ont des pouvoirs parapsychiques. Une enfant, elle-même sorcière, l’aidera à s’échapper et à rejoindre l’Amérique...

Ce roman est bien mené, les idées sont nombreuses et originales. Entre deux péripéties, l’auteur nous parle de psychologie sociale ou du rapport entre les sexes. Je ferais une réserve quant à l’utilisation parfois un peu forcée de coïncidences dans la narration. Cet artifice hérité des romans populaires du début du vingtième siècle (voir les romans de Gaston Leroux par exemple) est difficile à accepter aujourd’hui. Mais c’est une critique tout à fait mineure qui ne diminue que très peu l’intérêt de ce roman.

Le Syndic est donc le vrai personnage principal de cette histoire. C’est une organisation qui gère tout ce qui est souvent condamné moralement voire interdit comme les paris, les courses, les cabarets, la vente de l’alcool, etc. Mais attention !, cette organisation n’empêche pas le reste de la société de fonctionner librement. Les citoyens ne sont contraints en aucune manière. Le Syndic assure même une retraite décente aux personnes âgées. Cependant on aimerait encore en savoir plus car tout autre est le Gang. Sur le territoire de ce dernier, les habitants sont opprimés et le Gang est une organisation tyrannique.

Le livre se clôt sur une grande interrogation : faut-il organiser à tout prix la défense de cette société libre avec le risque qu’elle y perde son âme ? Le chef du Syndic, Frank W. Taylor répondra clairement non.

Sylvain

P.S. : Une fois de plus, la parution de ce livre en français passera inaperçue et les revues « Fiction » et « Galaxie » n’en parleront pas.

Extraits :
« Permettez-moi de vous exposer ce que représente le soi-disant Gouvernement : des « taxes » sauvages ; la suppression du jeu ; le refus des simples plaisirs de la vie aux pauvres, ainsi que leur limitation réglementée pour toutes les classes, sauf les très riches ; le puritanisme en matière de sexualité, cruellement imposé par un code pénal d’une barbarie effarante ; des règlements et des impositions pour chaque minute de la journée. Voilà ce qu’il était au temps de son pouvoir et voilà ce qu’il serait s’il reprenait le pouvoir. »
« Le Syndic », chapitre 4.

« - Non, Charles. Rien ne peut être une question de vie ou de mort pour le Syndic. Lorsqu’une situation quelconque devient question de vie ou de mort pour le Syndic, c’est qu’il est déjà mort, que son moral s’est déjà désintégré, que son prestige a déjà disparu. Ce qui reste n’est plus le Syndic, mais sa coquille vide. Je ne suis pas en mesure de juger objectivement si le Syndic est mort ou vivant en ce moment. Je crains qu’il ne soit en train de mourir. »
« Le Syndic », chapitre 22.

Référence complémentaire concernant C. M. Kornbluth :
- Donald Wollheim : « Les faiseurs d’univers » édition Robert Laffont (1973), pages 141 à 145.


11.5.03
 
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Johan Heliot : « La Lune seule le sait »
Ed. Mnémos (2000)

Il est courant dans le fandom français d’affirmer que la Science Fiction est nécessairement « de gauche »(1). En général, ce genre littéraire se voit sommé de réfléchir sur les insuffisances supposées de notre société et est condamné à imaginer des solutions utopiques imaginaires. Les textes critiques envers la société actuelle sont donc forts nombreux. On ne compte plus les anti-utopies ou les récits apocalyptiques racontant la fin ou la destruction de notre monde sur fond de pollution généralisée ou de surpopulation (2). Cet imaginaire apocalyptique a certainement beaucoup contribué à populariser des idées très répandues désormais dans le grand public.

Mais on aimerait aussi de temps en temps lire des ouvrages optimistes qui nous aideraient à réfléchir sur la construction d’un monde meilleur. Là, il faut bien le reconnaître, les textes sont beaucoup plus rares. Concrètement, les auteurs de Science Fiction modernes ont été incapables de décrire une société socialiste ou une utopie « de gauche » crédible. On trouve quelques textes russes de l’ère soviétique qui prétendent contre toute évidence que l’avenir appartient au socialisme (3) et des textes français d’écrivains se revendiquant de l’extrême-gauche, en général très mal écrits et donnant une image sinistre et glauque de la révolution (4). Quelques auteurs anglo-saxons se sont aussi lancés dans l’aventure avec des résultats passablement ambigus (c’est le terme même utilisé par Ursula K. Le Guin pour qualifier l’utopie anarchiste décrite dans son roman « Les dépossédés »).

Les seuls à s’être frottés à ce désir d’utopie et à avoir élaboré quelque chose d’intéressant sont finalement des auteurs plutôt classés « à droite ». Je ne reviendrai pas sur le roman « Révolte sur la Lune » mais je mentionnerai du même Robert Heinlein « Citoyen de la galaxie », un roman qui était une réponse en 1956 à la constatation de l’anthropologue Margaret Mead que la Science Fiction moderne ne proposait plus d’utopies. Il y a également des textes de Cyril M. Kornbluth et d’Eric Frank Russell non dénués d’intérêt.

Un roman français récent a beaucoup fait parlé de lui au moment de sa parution. Il s’agit de « La Lune seule le sait » de Johan Heliot. C’est l’occasion de se poser la question : existe-t-il, et même peut-il exister une Science Fiction marxiste de qualité ?

Ce roman appartient au sous-genre dit « Steampunk ». Il s’agit de récits se passant en général au 19ème siècle en pleine révolution industrielle et donnant souvent matière à des histoires alternatives. Il y a eu de grandes réussites comme « Les voies d’Anubis » de Tim Powers (J’ai lu, 1986) et « Les aventures uchroniques d’Oswald Bastaple » de Michael Moorcock (OPTA, 1982).

L’action de « La Lune seule le sait » se passe en 1899, année qui marque l’apogée de l’Empire français de Napoléon III. Car l’histoire a bifurqué en 1870 : cette année-là, les Français ont gagné la bataille de Sedan et en 1889, des extraterrestres, les Ishkiss, sont arrivés sur Terre et se sont alliés à l’empire français. Ils ont échangé quelques-unes de leurs connaissances contre l’aide des ingénieurs français afin de soigner leurs vaisseaux qui sont à la fois des machines et des êtres vivants.
Les opposants au régime sont exilés sur la lune dans un bagne appelé « l’Enfer de Dante ». Le personnage principal du livre n’est autre que l’écrivain Jules Verne envoyé sur la Lune pour le compte de l’exilé Babiroussa (Victor Hugo) afin de contacter la célèbre communarde Louise Michel, peut-être encore vivante. Le but est de préparer la révolte à la fois sur Terre et sur la Lune...
Jules Verne naturellement réussira dans son projet et s’alliera même avec les extraterrestres. L’Empereur sera assassiné et les bagnards feront la révolution.

Le récit est bien mené et intéressant. Le style est simple et clair.

En revanche l’idéologie politique est, disons, particulière, Johan Heliot s’en explique dans sa postface. Après une explication assez pénible visant à expliquer que les Français savent faire du Steampunk aussi bien que les anglo-saxons, (5) il nous explique que le régime soviétique a « dérivé » sous Staline et ses idéaux sont toujours ceux des révolutionnaires marxistes.

Point essentiel du roman, il ne donne AUCUN détail sur l’organisation de la nouvelle société lunaire. Nous ne saurons rien de ce qui se passe quand les révolutionnaires prennent le pouvoir. Tout au plus, apprendrons-nous que les prisonniers « impériaux » seront condamnés au bagne pour une durée variant en fonction de la gravité de leurs crimes. Sinon, comment les conflits sont-ils résolus ? Qui dirige réellement ? Rien, nothing, nada. Frustrant !
Il n’y a donc pas d’utopie dans ce roman, juste un message idéologique visant à faire croire que la Révolution, c’est bien. Nous sommes en pleine pensée magique et superstitieuse. Le réel, même fictif, n’a pas d’intérêt, ce qui compte, c’est le bourrage de crâne. Coup de pied de l’âne, le jeune Adolf Hitler fait une courte apparition dans l’épilogue : il prend à parti dans un café les habitants révolutionnaires de la Lune. Au cas où on n’aurait pas compris le message, il faut être fasciste ou nazi pour être opposé à la Révolution ! (6)
Cette idéologie pro-révolutionnaire est tellement présente aujourd’hui en France que ce roman a été couvert d’éloges à sa sortie. Tous les magazines parlant de Science Fiction lui ont fait une place d’honneur. (7)

Comme il est quand même difficile de « vendre » de nos jours la révolution russe de 1917, ou plutôt le coup d’état bolchevique de 1917, Johan Heliot se sert de ce qui reste du mythe : la Commune de Paris de 1870. Les Communards ayant été vaincus, il est facile de leur prêter toutes les qualités (8). Les trotskistes utilisent le même procédé pour faire croire que Trotski était un grand humaniste puisqu’il s’est opposé au criminel Staline. Ce qu’ils ne disent pas évidemment, c’est que Trotski était plus extrémiste et que s’il avait pris le pouvoir, il aurait peut-être fait encore plus de victimes que Staline.

Le moins contestable dans ce roman ? L’illustration de couverture !

Sylvain

(1) Voir par exemple un livre qui a marqué son époque :
« Pourquoi j’ai tué Jules Verne » de Bernard Blanc (Ed. Stock, 1978).
(2) Juste deux exemples : Harry Harrisson : « Soleil
vert » (Presses Pocket, 1975) et Philip Wylie : « La fin du rêve » (Ed. OPTA, 1976 et Le Livre de Poche, 1980).
(3) Voir par exemple : Ivan Efremov : « La nébuleuse d’Andromède » (roman datant de 1957).
(4) Par exemple les anthologies « Ciel lourd, béton froid » et
« Planète socialiste » parues chez Kesselring en 1977.
(5) Une fois de plus, on constate que l’idéologie socialiste fait très bon ménage avec le nationalisme.
(6) Je recommande à ce stade la lecture du chapitre 37 « La révolution, c’est vraiment l’enfer ! » de « Vers une société sans Etat » de David Friedman (Ed. Les Belles Lettres, 1991).
(7) Voir par exemple la chronique de Pierre Stolze dans Bifrost n°22 (avril 2001, page 91-93) mais Johan Heliot a eu aussi les honneurs de « Science-Fiction Magazine » notamment et même de « Casus Belli ».
(8) A propos de cet épisode de l'histoire de France on lira avec profit le chapitre 9 du livre de Jean Sévillia "Historiquement correct", chapitre consacré à la Commune de 1871 (Edition Perrin, 2003).

Réponse de l'auteur (12 mai 2003) :

"Effectivement ! Je suis toujours surpris de découvrir ce genre d'analyses, qui prêtent à l'auteur beaucoup plus d'ambitions, d'intentions et même d'intelligence qu'il n'y en a généralement à la base d'un projet de roman, analyse qui reflète le plus souvent les obsessions du lecteur - mais, là encore, je peux me tromper ! Surtout, vous prêtez me semble-t-il beaucoup
trop d'importante et d'influence à la "pensée marxiste" dans notre société - je ne sache pas que les pouvoirs soient actuellement détenus par des tenants de l'extrême gauche, ni qu'ils l'aient jamais été !! Et jusque dans le milieu de la SF, je vous garantis que la gauche extrême est très peu présente, il n'y a donc pas eu enthousiasme général pour ce roman en raison d'un positionnement politique (pour tout vous dire, j'ai même eu droit aux éloges de pas mal de critiques - fans bien ancrés à droite de l'échiquier politique) : comme partout, le conservatisme y a de beaux jours devant lui...

Cordialement quand même,

Ben oui...

Johan Heliot."


Réponse à la réponse (extrait):

(...)
j’aimerais vous faire part de quelques réflexions qui me sont venues à la lecture de votre message.

Il me semble que le fandom français est très majoritairement de gauche. Je crois me souvenir que vous avez vous-même reconnu dans un entretien paru dans « Science Fiction Magazine » me semble-t-il qu’on y rencontrait des « activistes ». Je pense à Stéphane Nicot par exemple qui est militant de la LCR et à Pierre Stolze par exemple. Ne vous méprenez pas, je suis pour la liberté totale d’opinion, ce n’est pas un problème !

Pour revenir à « La Lune seule le sait », je ne pense pas avoir inventé en tout cas les positions marxistes que je vous attribue, la postface est très claire.

D’un point de vue plus général, pour un libéral/libertarien comme moi, les « socialistes » (au sens large, c’est-à-dire, tous les gens qui veulent « améliorer » la société dans un sens collectiviste, de l’extrême-gauche et des anarchistes au démocrates-sociaux) et les conservateurs (qui ont peur de ces changements mais sont incapables de s’y opposer faute d’une pensée et d’une réflexion sérieuse, de l’extrême-droite au centre mou) partagent une même idéologie caractérisée notamment par le culte de l’Etat et l’idée que les élites politiques savent mieux que le peuple ce qui est bon pour lui.
Avez-vous lu le texte de Friedrich Hayek « Pourquoi je ne suis pas un conservateur » ? C’est très éclairant.
Il n’est donc pas surprenant me semble-t-il que des personnes « de droite » ou ayant des idées « conservatrices » aient apprécié votre roman et les idées qu’il véhicule. Je vous avoue cependant que ce qui m’a le plus déçu, c’est de rien savoir de la nouvelle société « lunatique ». Pour moi, le fond du problème est là. Souhaiter une société meilleure me semble tout à fait légitime mais on aimerait avoir des détails. En fait, je suis persuadé que vous-même ne voudriez pas vivre dans une société qui appliquerait réellement les idées trotskistes par exemple.

Aujourd’hui en France, l’extrême-gauche politique n’est certes pas au pouvoir, mais les idées collectivistes sont plus que jamais au coeur des projets politiques de tous les partis. Entre le PS et l’extrême-gauche, je vois une différence de degré mais certainement pas une opposition idéologique. Quant aux partis de droite, ils ont tellement peur de déplaire à la gauche qu’aucune réforme digne de ce nom n’est entamée. Avez-vous lu « Un bilan économique : un an après la réélection de Chirac » par Pascal Salin ?

Les exemples récents des 35 heures et des retraites sont très intéressants. L’Etat, qu’il soit tenu par des hommes politiques de droite ou de gauche se donne le droit de décider de la vie des gens à leur place et sans leur demander leur avis. Et si les gens décidaient eux-mêmes de la durée de leur temps de travail ? Et si les gens décidaient eux-mêmes de l’âge de leur départ à la retraite ? Qu’en pensez-vous ?
En ce début de 21ème siècle, la liberté est toujours et plus que jamais une valeur subversive.

Bien cordialement,

Sylvain Gay

7.5.03
 
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Cyril M. Kornbluth : « Ce n’est pas pour cette année »
Intitulé « Ce n’est pas pour demain » sur la couverture.
Satellite n°40 bis / Satellite Sélection n°8 (janvier 1962).
Editions originales : USA : « Not This August » (1955) ;
Grande-Bretagne : « Christmas Eve » (1956).
Traducteur inconnu.

L’Américain Cyril M. Kornbluth (1923-1958) est surtout connu pour ses récits écrits en collaboration avec Frederick Pohl. Ensemble ils ont notamment écrit un classique de la Science Fiction : « The Space Merchants » (1952 ; en français : « Planète à gogos », 1958) dans lequel toute la société est organisée autour de la publicité.
Kornbluth est également connu pour être l’auteur d’un roman précurseur du libertarianisme : « The Syndic » (1953 ; en français : « Le syndic », 1977) qui décrit un futur dans lequel les gangsters de la Mafia ont pris le pouvoir...

Le roman « Ce n’est pas pour cette année » raconte la victoire de l’URSS et de son allié la RPC (« République Populaire de Chine ») sur les USA.
Le personnage principal est Billy Justin, un ancien artiste commercial âgé de 37 ans. Pour ne pas être mobilisé, il est devenu fermier et c’est de son exploitation qu’il va d’abord entendre la capitulation des Etats-Unis annoncée à la radio par le Président et assister à l’arrivée des troupes d’occupation soviétiques.
Les USA deviennent la « République Démocratique Populaire d’Amérique du Nord » et sont partagés en deux zones : les Soviétiques occupent l’Est et son riche potentiel économique tandis que les Chinois contrôlent l’Ouest et le centre du pays, étant plus intéressés par de nouveaux territoires à coloniser.

L’un des premiers actes des Soviétiques sera la convocation d’un couple d’amis de Justin qui sont en fait membres du parti communiste clandestin. Comme tous leurs coreligionnaires, ils seront fusillés dans une cave par les occupants car :

« C’était ainsi que les Braden avaient reçu leurs convocations, s’y étaient rendus sans le moindre soupçon et avaient été exécutés dans un sous-sol, car, comme le disait Braden, ces Rouges étaient en vérité des garçons fort intelligents qui savaient que dans un pays récemment conquis la Révolution ne doit pas laisser en liberté les révolutionnaires, ces révolutionnaires qui connaissent toutes les techniques de la subversion et de la clandestinité et qui, pour une Révolution devenue tout soudain la représentante de l’ordre et de la stabilité, sont la plus grave menace. »
(chapitre 3)


Un peu plus tard, des quotas de production de plus en plus élevés seront imposés aux agriculteurs et des règlements de compte auront lieu entre les occupants, certains étant accusés de fraterniser avec la population. Une partie de la population est envoyée dans des camps ou même en Chine pour défricher de nouveaux territoires.
Kornbluth décrit également avec beaucoup de soin les différents types de réaction face à l’occupant : alors que certains collaboreront de bon coeur, d’autres entreront dans la résistance et y laisseront leur vie.
Car évidemment, de nombreux Américains vont vouloir se révolter. Par hasard, Justin va rencontrer le survivant d’un projet scientifique visant à construire un nouveau satellite militaire qui aurait donné la victoire aux USA grâce aux bombes nucléaires et aux bombes au cobalt qu’il aurait emporté avec lui.
Contrairement à ce que croient les occupants soviétiques, ce satellite n’a pas été détruit mais est resté inachevé et caché. La tâche de Justin sera désormais de « passer » ce renseignement aux chefs de la Résistance afin qu’ils organisent la fin de la mise au point finale et le lancement de ce satellite.

Comme les déplacements dans le pays deviennent quasiment impossibles, Justin sera aidé par Mr Sparhawk, un survivant de l’armée britannique devenu prêcheur itinérant. Sa doctrine est un mélange de christianisme, de bouddhisme et de psychanalyse. Ce « doux dingue » emmènera Justin sur les routes et après quelques mésaventures (dont quelques jours passés dans les geôles de la police soviétique), ils finiront par trouver les chefs de la résistance.
Ensuite, tout ira très vite. Le satellite sera achevé puis lancé. Les résistants déclencheront la révolte et un ultimatum sera envoyé aux Soviétiques et aux Chinois...

Ce roman est une curiosité. Les romans clairement anti-communistes ne courent déjà pas les rues mais c’est l’un des seuls récits dans lesquels les communistes gagnent (même provisoirement) la guerre (1).
Il faut se souvenir qu’en 1956, la guerre de Corée était encore dans toutes les mémoires.
Les communistes avaient pris le pouvoir en Chine en 1949 et les Américains et les Coréens du sud avaient failli perdre la guerre contre les communistes coréens en 1950 et en 1951. L’armistice ne datait que de 1953. La puissance potentielle des Soviétiques et des Chinois alors alliés avait de quoi inquiéter les Américains et les autres Occidentaux.

Ce roman est réaliste dans sa description du communisme : exécutions sommaires, famines organisées, espionnage (les Rosenberg sont nommément cités), règlements de compte, torture des opposants, police politique, antisémitisme, rien ne manque.
Dommage que l’intérêt faiblisse dans la dernière partie du récit. La révolte américaine est un peu bâclée et trop rapidement victorieuse pour être tout à fait crédible.

Vu le climat intellectuel dominant en France en 1962, c’est un petit miracle que ce roman ait pu être traduit en français (même si la revue « Fiction » se gardera bien d’en parler). C’est peut-être aussi ça la Science Fiction.

Sylvain

(1) : On peut toutefois peut-être rapprocher de ce texte le premier roman de Robert Heinlein paru en 1942 et qui a pour titre "Sixième colonne". Heinlein décrit les Etats-Unis vaincus et occupés par une puissance étrangère asiatique qui emprunte des traits à la Chine et surtout au Japon impérial de l'époque. Là aussi la révolte américaine finira par triompher des envahisseurs...

Un autre extrait :
« - C’est amusant. La même chose est arrivée en Ukraine, en 1933. Les paysans sont sortis de leur apathie ; ils ont négligé leurs cultures ; ils ont abattu leur cheptel plutôt que de le donner à l’Etat. Ils n’ont fait pousser de céréales que ce qui leur était indispensable pour subsister. Que dit l’histoire ? Qu’a fait le grand Staline ?
Il eut un gloussement d’affection à la mémoire de la perspicacité du vieil homme.
- Je ne sais pas, dit-elle timidement. Nous étudions surtout les origines et les héros de la lutte des classes en Amérique du Nord...
- Et c’est tout-à-fait normal. Je vais vous dire ce qu’a fait le grand Staline. Il a attendu. Il a souri et il a attendu. Puis vers la fin de l’année 1933, il a confisqué toutes les réserves de céréales et tout le cheptel. Ces fous de paysans sont morts par millions pendant l’hiver. Après cela, au printemps il a été très facile de grouper les survivants en fermes collectives où l’on pouvait les avoir à l’oeil et où l’on ne permettait aucun écart.
Il tira longuement sur sa cigarette et haussa les épaules.
- S’il faut apprendre à vivre à vos paysans, l’URSS se fera un plaisir de jouer au maître d’école.
- Quel art vous avez de rendre les choses claires, Lieutenant, dit Betsy. »
(chapitre 19)


Référence complémentaire à propos de Cyril M. Kornbluth :
- « Reconstitution historique 2 » par R. Derek Nolane, Horizons du fantastique n°24 (3ème trimestre 1973)

Une très belle édition italienne de ce roman :

 

 
   
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