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Ivan Efrémov : « La nébuleuse d’Andromède »Edition originale russe datant de 1957.
Editions françaises :
1 : éditions en langues étrangères (Moscou), sans date mais probablement 1959.
2 : éditions Rencontre (Lausanne), collection « Les Chefs-d’Oeuvre de la Science-Fiction » (1970) avec une préface de Jacques Bergier.
3 : éditions du Progrès (Moscou), 1979 ;
4 : éditions Radouga (Moscou), fin des années 80 ;
5 : éditions
Eons, collection "Futurs" n°28, 2005.
Traduit du russe par Harold Lusternik.
Avertissements :
J’ai utilisé ici l’édition Rencontre.
Pour des raisons d’organisation, j’ai séparé les références à « La nébuleuse d’Andromède » (indiquées par un numéro) et les notes concernant d’autres textes (indiquées par une lettre).« Notre superbe écrivain I. EFREMOV a tenté le premier de décrire la société communiste dans sa réalité la plus concrète. Le monde de « La Nébuleuse d’Andromède » est merveilleux. »Evguéni Brandis (in référence n°10 page 42).
« Le pessimiste est celui qui dit :
« Cela ne peut être pire », ce à quoi,
l’optimiste répond : « Mais si, mais si. »Humour soviétique cité par Jacqueline Lahana
(réf. n°8 page 7).
Ivan Efrémov (1907-1972) est né en Russie. Après le coup d’Etat communiste de 1917, il est pupille d’une compagnie de l’armée rouge. Au moment de la guerre civile, il se trouve dans le sud de l’Ukraine et y est blessé lors des combats contre le corps expéditionnaire britannique. La paix revenue, il reprend des études de géologie à Leningrad et en même temps devient marin. Il navigue aussi bien en Extrême-Orient que sur la mer Caspienne. Après avoir hésité longtemps entre la marine et la science, il finit par choisir cette dernière et entre à l’Académie des sciences de l’URSS.
C’est pendant la Seconde Guerre Mondiale et alors qu’il est malade et incapable de participer à la guerre qu’il commence à rédiger des nouvelles mêlants souvenirs d’expéditions scientifiques et réflexions spéculatives. Ces récits sont publiés à partir de 1944 (note A) et Efrémov décide alors de continuer à écrire tout en poursuivant sa carrière scientifique.
En tant que géologue et paléontologue, il dirige notamment les expéditions scientifiques soviétiques d’après-guerre dans le désert de Gobi (B) et crée la « taphonomie » qui est la science qui étudie les lois de la sédimentation des animaux et des plantes dans la croûte terrestre (9). En tant qu’écrivain, il publiera des romans de Science Fiction dont « La nébuleuse d’Andromède » est le plus célèbre et des romans historiques dont l’action se passe dans l’Antiquité en Grèce ou en Egypte (C).
Le roman « La nébuleuse d’Andromède » est d’abord paru en feuilleton en 1957 avant d’être réédité en volume deux ans plus tard. La date est importante car Staline est mort au début de 1953 et sous son règne, seul « Staline pouvait prévoir l’avenir » et la Science Fiction ne pouvait explorer l’avenir au-delà de cinq ans, la durée d’un plan quinquennal (11). Les années 1956-1968 sont donc l’Age d’Or de la SF soviétique (7 et 8), des années de relatives libertés de pensée et d’expression au milieu de décennies de censure et de répression.
« La nébuleuse d’Andromède » est à la fois un space opera et la description d’une société utopique future d’obédience communiste.
Efrémov raconte d’une part ce qui arrive à la trente-septième expédition astrale dont le but est Zirda, seule planète habitée d’une étoile de la constellation d’Ophiuchus. Il existe des communications entre les intelligences de la galaxie, même si les messages mettent des siècles à voyager entre les systèmes solaires. Zirda ne répond plus depuis plus de soixante-dix ans aux messages qu’on lui envoie et l’expédition terrienne devra se dérouter pour tenter de secourir un autre vaisseau. Les cosmonautes découvriront une planète inconnue peuplée par une forme de vie hostile avant de parvenir à rejoindre la Terre.
L’auteur présente d’autre part la société communiste sans classe enfin réalisée dans deux mille ans. C’est l’occasion pour Efrémov de faire part de ses conceptions sur le sujet et c’est pour nous ici l’aspect le plus intéressant de son roman.
Comment Efrémov qui n’est pas un politique mais un scientifique et un écrivain imagine-t-il le paradis communiste ? Tout d’abord, les hommes et les femmes de cette époque sont bons, beaux et intelligents. Ils sont tous capables d’avoir plusieurs activités au cours de leur vie et excellent dans toutes. Lorsque l’on veut changer de travail, il suffit de se connecter à l’administration idoine qui vous indiquera les emplois disponibles. Ursula K. Le Guin se souviendra de ce système dans
« Les dépossédés ».
Ensuite la société est dirigée par des « Conseils ». Le Conseil de l’économie est l’organe dirigeant et l’ensemble des conseils les plus importants est assimilé au cerveau d’un organisme vivant. La famille n’existe plus et les enfants sont élevés en collectivité avec le souci constant de lutter contre « l’égoïsme ».
« L’homme de la société nouvelle s’est vu dans la nécessité de juguler ses désirs, sa volonté, ses pensées, de lutter contre le pire ennemi de l’homme, l’égoïsme, au profit de la collectivité et pour l’extension de sa propre intelligence. Cette éducation de l’esprit et de la volonté reste aussi obligatoire pour chacun de nous que l’éducation physique. L’étude des lois de la nature, de la société et de son économie a remplacé le désir personnel par le savoir conscient. »« La nébuleuse... », éd. Rencontre page 304 (voir aussi la page 260).
Les mères qui voudraient élever elles-mêmes leur enfant sont bannies et reléguées sur l’île des Mères (pages 406 et 407) tout comme sont relégués sur l’île de l’Oubli ceux qui n’arrivent pas à avoir un comportement suffisamment domestiqué (pages 326 et 336).
Tous les humains parlent la même langue et l’humour (les « traits d’esprit », page 436) n’existe plus, la communication doit être franche et dénuée d’arrières-pensées.
L’euthanasie pour les malades ou les blessés semble assez courante (page 324) et un des personnages importants de l’histoire y échappera d’ailleurs de justesse. Il sera ensuite parfaitement soigné et guéri de ses blessures...
Efrémov rapporte le cas d’un athlète qui se conduisait mal et à qui on a injecté un produit qui l’a artificiellement affaibli jusqu’à ce qu’il apprenne à bien se conduire (page 355 - D).
Toute la planète comporte en tout et pour tout quatre ordinateurs géants qui suffisent à effectuer les calculs complexes dont cette société pourrait avoir besoin. La vie humaine peut être sacrifiée sans trop de remords si la cause est juste, si elle permet un progrès dans les connaissances scientifiques par exemple (pages 373 et 374).
D’un point de vue plus général, l’homme a profondément modifié son environnement. Pied de nez aux écologistes d’aujourd’hui, le climat a été artificiellement modifié dans le sens du réchauffement. Le niveau des océans s’est élevé de sept mètres (page 88) et les alizés ont été quasiment supprimés. Les hommes n’habitent plus désormais que des régions au climat doux (page 86) afin de ne plus avoir à chauffer les logements pendant la saison froide et à ne plus fabriquer de vêtements d’hiver. Une remarque : ce monde semble peu peuplé mais Efrémov dit simplement que les femmes n’ont le droit d’avoir que deux enfants et que le danger de la surpopulation n’existe plus.
On apprend aussi que le pétrole et le charbon ont depuis longtemps disparu. Les hommes utilisent une sorte d’énergie nucléaire si j’ai bien compris ainsi que des énergies renouvelables. Autre pied de nez, les hommes du futur utilisent encore le tantale, seul élément naturel dont les réserves diminuent réellement de nos jours et dont on peut craindre la pénurie prochaine (E)...
D’un point de vue plus anecdotique, Efrémov ne croyait pas à la théorie scientifique du « Big Bang » (pages 288 et 289) et il semble bien qu’il soit l’inventeur des scaphandres articulés et munis de moteur permettant de décupler la force humaine : ses « squelettes sauteurs » (pages 122 et 123) sont très proches des scaphandres décrits par Robert Heinlein dans « Starship Troopers » en 1959.
La société humaine de l’an 3000 fonctionne grâce à la dialectique : les contraires se fécondent l’un l’autre, la solution est dans son contraire, l’évolution se fait en spirale, il existe une loi naturelle des contradictions, etc. La dialectique est mentionnée de nombreuses fois (pages 198, 221, 232, 259, 329, etc.). La dialectique, gri-gri du 30è siècle ? Peu crédible mais manifestement en URSS, en 1957, on ne plaisante pas avec ces choses là.
Alors, cette société communiste fait-elle envie ? En fait, Ivan Efremov se garde bien de trop rentrer dans les détails concrets. Pas de détails sur la production de biens matériels par exemple. On sait simplement que les automobiles du XXè siècle sont une aberration pour les habitants du futur et qu’ils sont habitués à se satisfaire de peu. Cette économie de pénurie imposée révèle bien l’efficacité réelle de la « République des Conseils » (F). Il ne faut pas oublier que les pays socialistes d’Europe centrale n’ont jamais quitté le rationnement et la pénurie mis en place pendant la Seconde Guerre Mondiale.
Politiquement, les enfants de ce futur sont soumis à un tel bourrage de crâne que l’idée même de dissidence est difficile à imaginer. Evidemment, Efrémov utilise une rhétorique parfois grandiloquente qui peut séduire les esprits simples qui ne demandent qu’à oublier les quatre-vingts à cent millions de morts dus au communisme réel (G).
Car on sait bien que cette conception de l’homme comme pâte à modeler que l’enseignement de l’Etat forme à son gré a produit les pires régimes politiques que l’humanité ait connu. Tous les régimes socialistes ou communistes tentent de contrôler les pensées des individus afin d’obtenir la soumission à l’Etat qui est nécessaire à la poursuite de leurs chimères. Mais on peut espérer que cette volonté est vouée à l’échec. L’être humain aspire à la liberté, à l’échange libre avec les autres hommes, même si l’Etat menace sa vie pour cela...
Plus tard Efrémov publiera deux textes se situant dans le même univers que « La nébuleuse... » : « Cor Serpentis », une nouvelle racontant la première rencontre dans l’espace avec un vaisseau extraterrestre - rencontre pacifique et pleine de bons sentiments - et « L’heure du taureau », roman franchement anti-utopique qui vaudra à son auteur quelques ennuis avec la critique officielle.
Mais ceci est une autre histoire...
Sylvain
Références concernants « La nébuleuse d’Andromède » (dans l’ordre chronologique) :
(1) - « Entretien avec Ivan Efremov » par M. Poletti in revue « Fiction » n°53 (avril 1958).
(2) - Critique par Gérard Klein de « La nébuleuse d’Andromède » in revue Fiction n°77 (avril 1960).
(3) - « Admirations » par Jacques Bergier (éd. Christian Bourgois, 1970), chapitre 4 : « Ivan Efremov ou La nébuleuse d’Andromède » (réédité en 2000 aux éditions de L’oeil du sphinx).
(4) - « Préface » de Jacques Bergier à « La nébuleuse d’Andromède (éd. Rencontre, col. « Les Chefs d’Oeuvre de la Science-Fiction », 1970). Cette préface est surtout une longue citation d’Efremov lui-même à propos de son roman.
(5) - « Entretien avec... Ivan Antonovitch Efremov » par Iouri Medvedef in revue « Horizons du fantastique » n°17 (1971).
(6) - « Encyclopédie de l’Utopie, des Voyages Extraordinaires et de la Science Fiction » par Pierre Versins (éd. L’Age d’Homme, 1972), article « Ivan Efremov », pages 274 et 275.
(7) - « Pour une poétique de la science-fiction » par Darko Suvin (Presses de l’Université du Québec, 1977), pages 179 à 183.
(8) - « Les mondes parallèles de la science-fiction soviétique » par Jacqueline Lahana (éd. L’Age d’Homme, col. Outrepart, 1979) pages 24, 25, 110 à 116 et 151.
(9) - « De la science-fiction soviétique, par delà le dogme, un univers » par Leonid Heller (éd. L’Age d’Homme, col. Outrepart, 1979), chapitre 9 ainsi que les pages 66 à 68.
(10) - « S.F. soviétique : crise du genre ? », débat initialement publié dans le numéro 9 de la revue « Literatournaïa Gazeta » du 27 février 1980 ; première partie traduite dans le fanzine « Clair d’ozone » n°3 (mai 1982) - la deuxième partie n’a jamais été publiée en français.
(11) - « Pour une approche de la Science Fiction soviétique » par Jacqueline Lahana in fanzine « SFère » n°6 (juillet 1983). Plusieurs numéros de ce fanzine-phare du début des années 80 peuvent être téléchargés
ICI, notamment le numéro 6.
(12) - « Alliage particulier » par Alexandre Fiodorov suivi de « C’est sur Terre qu’on a à vivre », interview d’Ivan Efrémov par Vitali Bougrov in « Pages retrouvées de la S.F. soviétique : pour le 80e anniversaire d’Ivan Efrémov (1907-1972) » in revue « Lettres soviétiques » n°348 (1987), numéro entièrement consacré à la Science Fiction soviétique.
(13) - « Science-Fiction : une histoire illustrée » par Dieter Wuckel (éd. Leipzig, 1988), pages 178 à 180.
(14) - « The Multimedia Encyclopedia of Science Fiction », CD-Rom, par Peter Nicholls et John Clute (Grolier, 1995), article « Yefremov, Ivan ».
Notes :(A) : Ces contes ont été édités en français sous le titre « Récits » (sous-titre : « Contes scientifiques ») aux Editions en langues étrangères (Moscou, 1954). La première nouvelle de ce recueil aujourd'hui introuvable s'intitule "L'ombre du passé". Elle a été rééditée dans le n°53 de la revue Fiction en avril 1958.
(B) : Voir par exemple l’ouvrage « Chasse aux dinosaures dans le désert de Gobi : les aventures d’une expédition soviétique » d’A. Rojdestvenski (éd. Fayard, 1960) qui donne un bon aperçu de ces expéditions scientifiques. Voir également la nouvelle "L'ombre du passé" (note A) dont l'histoire se passe lors de l'une de ces expéditions. Un aperçu des travaux scientifiques d'Ivan Efrémov est donné
ICI.
(C) : Dans cette veine antique, voir par exemple le recueil de nouvelles « Aux confins de l’Oecumène » (Ed. du Progrès, Moscou, 1979).
(D) : A comparer avec la nouvelle de Kurt Vonnegut « Pauvre surhomme » dans laquelle de gré ou de force tous les hommes sont rendus identiques, les danseuses ont des poids attachés aux pieds, les plus intelligents doivent coiffer un casque qui leur envoie régulièrement des bruits stridents dans les oreilles afin de les déconcentrer, etc. (nouvelle éditée dans le n°124 de la revue Fiction en mars 1964 et dans « La grande anthologie de la Science Fiction : Histoires de demain », Le Livre de Poche n°3771, 1976).
(E) : Voir Bjørn Lomborg :
« L’écologiste sceptique » (éd. Le Cherche Midi, 2004) chapitre 12.
(F) : Je pense qu’Ayn Rand dans sa nouvelle « Hymne » donne un aperçu plus exact de ce que serait le fonctionnement réel d’une société organisée en « Conseils » comme le rêvent les communistes. Voici un extrait significatif de ce texte alors que le héros vient de réinventer l’ampoule électrique et qu’il la présente au « Conseil des Savants »...
« Toutes les grandes inventions modernes viennent du Foyer des Savants, comme la plus récente, découverte il y a cent ans seulement : comment faire des bougies avec de la cire et du fil. (...)
- Si d’aventure il était tel qu’ils le prétendent, dirent Harmonie 9-2642, il provoquerait la ruine du Service des bougies. Or la Bougie est un grand bienfait pour l’humanité, comme en conviennent tous les hommes. C’est pourquoi le caprice d’un seul homme ne saurait y mettre fin.
- Cela ruinerait les Plans du Conseil Mondial, dirent Unanimité 2-9913, et sans les Plans du Conseil Mondial le soleil ne peut se lever. Il a fallu cinquante ans pour obtenir de tous les Conseils l’approbation de la Bougie, décider du nombre nécessaire et réviser les Plans pour produire des bougies au lieu de torches. Cela a affecté des milliers et des milliers d’hommes qui travaillaient dans des dizaines et des dizaines d’Etats. Nous ne pouvons déjà recommencer à modifier les Plans. »Et l’idée de l’ampoule électrique sera donc abandonnée et son inventeur pourchassé...
(« Hymne » de Ayn Rand in revue « Antarès » n°35, 3ème trimestre 1989).
(G) : Lire "Le livre noir du communisme : Crime, terreur, répression" publié sous la direction de Stéphane Courtois (éd. Robert Laffont, 1997, réédité chez Pocket).
Liens complémentaires :- Les livres d'Ivan Efrémov disponibles en russe sont
ICI.
- Ma présentation d'un autre roman d'Ivan Efrémov :
"L'heure du taureau".