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Jack Vance : « Un monde d’azur »Editions françaises avec une traduction de Jacqueline Remillet :
1 : éditions Robert Laffont, collection « Ailleurs et Demain » (1970) ;
2 : Livre de Poche n°7018 (1978) ;
3 : Presses Pocket n°5193 (1984).
Nouvelle traduction par Patrick Dusoulier :
4 : Livre de Poche n°7273 (2005), avec une préface de Gérard Klein.
Titre original : « The Blue World » (1966).
Cette planète n’a pas de nom. Il y a une douzaine de générations un vaisseau transportant des repris de justice vers une planète-prison s’est écrasé à sa surface. Coupés des autres planètes habitées par l’homme, les naufragés ont survécu et même prospéré. Aujourd’hui, leurs descendants vivent une vie presque idyllique jusqu’au jour où...
J’ai toujours été un grand admirateur de Jack Vance. En tout cas au moins depuis que j’ai lu le « Chasch » le premier roman du cycle de
Tschaï en 1976. Je relie régulièrement ce chef d’oeuvre de la Science Fiction et je trouve à chaque fois que Jack Vance a un don pour imaginer des sociétés humaines ou extraterrestres différentes mais crédibles. Il a trouvé le Saint-Graal de cette littérature qui est l’alliage de l’étrangeté et du réalisme.
« Un monde d’azur » n’est pas le roman le plus connu de Jack Vance mais c’est sans doute un des meilleurs. Le monde décrit est d’abord un univers liquide. Il n’y a pas de terre ferme sur cette planète dont jusqu’au bout nous ignorerons le nom. Les humains vivent sur les excroissances de plantes fixées au fond de l’océan, excroissances qui flottent à la surface de l’eau et forment des sortes d’îles. Les hommes ont appris à utiliser ces plantes ainsi que les animaux ou les éponges qu’ils peuvent pêcher. Ils sont organisés en castes qui portent le nom d’une des catégories de forçats de leurs ancêtres. Les Filous sont les pécheurs, les Déprédateurs sont les teinturiers, les Contrebandiers préparent les vernis, les Voleurs construisent les tours qui servent aux communications entre les différentes îles habitées et les Bourreur de Crânes utilisent pour cela des sortes de sémaphores (1). Il y en a encore d’autres mais à l’époque où se situe l’action de ce roman, les distinctions de castes commencent à perdre de l’importance.
Chaque île a son Arbitre qui règle les conflits et son Médiateur qui intercède auprès du Roi Kragen pour le compte des habitants.
Le Roi Kragen justement. « Kraken » est un mot d’origine norvégienne qui désigne un monstre marin. Dans le roman de Jack Vance, le Roi Kragen est une sorte de mélange de gros poisson et de crustacé. Il fait preuve d’une certaine intelligence et son rôle est censément de chasser les kragens plus petits des parages des îles habitées en échange de quoi il est nourri. Cela fait cent cinquante ans que cela dure et qu’il razzie régulièrement les plantations d’éponges et il est vraiment devenu très gros. Les médiateurs tentent de développer une sorte de culte autour du Kragen car après tout grâce à lui, eux aussi sont nourris à ne rien faire. La crise éclatera quand certains habitants lassés des déprédations causées par les kragens décideront d’essayer de le tuer...
Le roman repose donc sur une double trame : les tentatives de certains hommes pour tuer le Kragen et redevenir libres d’une part, les manoeuvres des Médiateurs pour empêcher cela et pour renforcer leur pouvoir de coercition sur la population d’autre part. On les verra par exemple lancer le Kragen contre leurs ennemis ou former une milice armée pour combattre et exterminer les dissidents.
Comment ne pas voir dans ce Roi Kragen une métaphore de l’Etat (2) ? Les Médiateurs sont des « proto-hommes de l’Etat » vivant sur le dos de la population, prêts à utiliser la violence pour garder leurs privilèges et commençant à augmenter leur nombre sans contrôle en échange de « services » rendus à la population pour le moins contestables. Ils bafouent les règles traditionnelles de cette société où les décisions sont prises lors d’assemblées où tous peuvent s’exprimer et prennent le pouvoir à la faveur d’un véritable coup d’Etat.
Dans tous ses romans, Jack Vance défend la liberté et ses héros combattent bien souvent des tyrans. Si vous n’avez jamais lu un de ses textes, le roman « Un monde d’azur » est une excellente introduction à une oeuvre riche et chatoyante qui allie le meilleur de la Science Fiction et de l’Heroïc Fantasy.
Sylvain
(1) : Cette répartition des rôles serait à comparer avec ce que Philip K. Dick propose dans son roman « Les clans de la lune alphane ». Les Pares, les Manses ou les Heebs sont des clans formés par les descendants de malades mentaux. La principale différence entre les approches de Vance et de Dick est que chez ce dernier, les personnages décrits ont conservé les caractéristiques de leurs ancêtres...
(2) : Ce Roi Kragen est peut-être apparenté au "Léviathan" ?
Références :- « Jack Vance ou le faiseur d’univers » 2ème partie par Jacques Chambon et Jean-Pierre Fontana in Fiction n°201 (septembre 1970) ;
- « Introduction » au volume 1 de « Tschaï » (éditions OPTA, CLA n°33, 1971) par Jacques Chambon et Jean-Pierre Fontana ;
- « Préface » de Jacques Chambon au « Livre d’or de la science-fiction : Jack Vance » (éditions Presses Pocket n°5097, 1980, réédité sous le titre « Papillon de lune » dans la série « Le grand temple de la SF » chez le même éditeur en 1988).
Dans ces trois textes les auteurs proposent leur interprétation : pour eux, les Médiateurs sont une sorte de mafia (ils sont assimilés aux "racketteurs de Chicago") et le système qu’ils ont instauré est comparé au colonialisme ou à un protectorat. Je ferais remarquer à Jean-Pierre Fontana (car Jacques Chambon est décédé) que d’une part, les « racketteurs de Chicago » prospèrent d’abord grâce aux dysfonctionnements sociaux provoqués par l’interventionnisme étatique et que d’autre part, ils n’ont jamais approché même de loin l’efficacité des hommes de l’Etat pour ce qui est d’extorquer des ressources à la population. Quant au colonialisme et au système du protectorat, ce ne sont que des cas particuliers de la coercition étatique universelle...- "Un monde d'azur", présentation par Bruno Para in "Les univers de Jack Vance" Bifrost hors-série n°2 (septembre 2003).
Liens :- Un site en français réalisé par Jacques Garin entièrement consacré à
Jack Vance.
- Ma présentation d'un autre roman de Jack Vance :
"Wyst : Alastor 1716".