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Vernor Vinge : « La captive du temps perdu »Ed. L’Atalante (1996).
Rééd. Le Livre de Poche n°7228 (2000).
Traduction : Stéphane Manfrédo.
Edition originale : « Marooned in Realtime » (1986).
Prix Prometheus en 1987.
Je voudrais vous présenter un roman de Science Fiction écrit par un scientifique américain libertarien, ce qui, vous l’admettrez, n’est pas si courant...
Vernor Vinge est mathématicien. Il est né en 1944 et a été marié à un autre écrivain de SF, d’ailleurs plus connu que lui en France, Joan D. Vinge. Il a commencé à publier des nouvelles de SF dans les années 60 et plusieurs de ses textes sont des classiques comme « True Names » (1981) sur le thème des univers virtuels. Il a vraiment atteint la gloire en 1994 en obtenant le prix Hugo pour son roman « A Fire Upon The Deep » (tr. fr. : « Un feu sur l’abîme » en 1994, un space opera à la fois classique et totalement novateur), prix qu’il a de nouveau obtenu en 2000 pour « A Deepness In The Sky » (tr. fr. : « Au tréfonds du ciel », 2001).
Dans les années 80, il a publié une trilogie qui constitue une sorte de mini « Histoire du futur » avec la mise en place d’une société libertarienne, la Singularité et le voyage possible dans le futur lointain.
Le premier volume s’intitule « The Peace War » (1984) et le second « Marooned In Realtime » (1986). La troisième partie est une nouvelle : « The Ungoverned » (1991).
Les éditeurs français ne se sont pas précipités pour traduire ces oeuvres et seul le deuxième roman est disponible en français. « La captive du temps perdu » puisque c’est de lui qu’il s’agit, est à la fois un roman de hard science (c’est-à-dire que les idées, les réalisations, les découvertes, etc. scientifiques y jouent un grand rôle), un roman policier (il y a un meurtre et il faut découvrir le coupable) et un roman politique (les humains du futur n’ont pas tous les mêmes idées et cela donne matière à affrontements philosophico-politiques). Il faut cependant bien reconnaître que ce dernier aspect tient une place mineure dans le récit, c’est peut-être pour ça que ce texte là a été traduit alors que les autres ne l’ont pas été...
L’histoire se passe environ 50 millions d’années dans le futur. L’Humanité a à peu près complètement disparu au XXIII ème siècle, c’est ce que les survivants appellent la « Singularité » ou
« l’Extinction » selon leur choix philosophique. Où sont passés les Humains ? On ne le sait pas. Peut-être l’Humanité s’est-elle détruite elle-même, peut-être des Extraterrestres ont-ils exterminé la race humaine. Ce qui est sûr, c’est que le progrès scientifique et technologique n’a cessé de s’accélérer et que la civilisation du XXIII ème siècle était incroyablement puissante.
Les quelques 300 survivants, héros du livre, sont des voyageurs temporels en « stase » au moment de la Singularité. Pour différentes raisons, ce sont des personnes qui se trouvaient dans une « bulle temporelle » à ce moment là. Les bulles sont des machines programmables à l’intérieur desquelles le temps cesse de s’écouler. Elles sont inaccessibles de l’extérieur et ne peuvent emmener leurs passagers que dans le futur.
Ces voyageurs se divisent en deux groupes : les paléo-techs et les néo-techs. Les premiers sont les plus anciens voyageurs du temps. Leur technologie est relativement primitive et certains d’entre eux viennent d’une société libertarienne. Les seconds sont incommensurablement mieux équipés mais sont peu nombreux. Si tous unissent leurs forces, la civilisation pourra renaître mais ce n’est pas gagné d’avance...
Le roman démarre réellement quand l’une des néo-techs les plus puissantes, Marta Korolev, est victime d’un meurtre. Elle est laissée hors de sa bulle lors de la stase finale et abandonnée sans équipement dans un environnement hostile. Elle survivra sur une Terre quasiment vierge pendant environ quarante ans.
L’un des paléo-techs, Will Brierson, qui a été policier avant d’être victime d’un grand saut dans le futur, va mener l’enquête car ce sont probablement tous les survivants qui sont menacés. Le journal tenu par Marta, dont de longs extraits sont cités dans le roman, va lui servir de guide. J’ai lu pas mal de romans policiers mais j’avoue que ce meurtre là est absolument terrifiant...
Revenons un instant à la problématique politique du récit. Parmi les paléo-techs, il y a une majorité de libertariens car pour Vernor Vinge, le futur sera libertarien, pas de doute là-dessus. Mais il y a aussi des personnes rescapées de sociétés plus proches de la notre : les Néo-Mexicains et les Pacifieurs qui, à une certaine époque, ont instauré une dictature pacifiste sur Terre. Il est assez amusant de voir les Néo-Mexicains et les Pacifieurs tenter de convaincre les Libertariens de la nécessité, vu les circonstances, de rétablir la démocratie et de donner le pouvoir à la majorité...
D’un point de vue presque philosophique, le concept de « Singularité » est fascinant. Le progrès technique s’accélérant sans cesse, Vernor Vinge explique dans sa postface que, d’après lui, la Singularité se rapproche à grande vitesse et que
« c’est nous... qui comprendrons la nature de la Singularité de la seule manière possible : en la vivant. »On obtient donc au final un récit passionnant pour peu qu’on se donne la peine d’insister un peu car le récit est assez complexe et les idées et réflexions de l’auteur très riches. Mais ça en vaut la peine. Quel dommage que les autres titres de la série ne soient pas traduits en français !
Sylvain
P.S. : dans la réédition au Livre de Poche, on pourra très bien se dispenser de lire la préface de Gérard Klein. En effet, après quelques réflexions intéressantes sur le voyage dans le temps dans la littérature de Science Fiction et vu d’un point de vue scientifique, il se perd dans un discours concernant le nombre peu élevé des lectrices de SF et tente de nous expliquer par la psychanalyse le pourquoi de cet étrange phénomène. Quel rapport avec « La captive du temps perdu » ? Je cherche encore...
Autres textes de Vernor Vinge traduits en français :- « Les traquenards de Giri » (roman) éd. OPTA col. « Galaxie/bis » n°77 (1981)
Sur Giri, presque tous les habitants ont le don de téléportation.
V. Vinge a fait un effort pour rendre crédible une société organisée en fonction de ce don.
Sinon, c’est l’histoire de deux naufragés terriens sur cette planète médiévale. Fait penser à Jack Vance, en moins bien quand-même.
- « Situation privilégiée » (nouvelle) in « La grande anthologie de la Science Fiction : Histoire de survivants » Le Livre de Poche n°3776 (1983)
Dans un futur où l’hémisphère nord de la planète a été détruit par une guerre atomique, une rencontre avec les derniers survivants de l’apartheid sud-africain. Intéressant mais obsolète.
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Robert Heinlein : « Révolte sur la Lune »Edition originale : « The moon is a harsh mistress » (1965 en magazine, 1966 en livre).
Ce roman a obtenu le prix Hugo en 1967 et le prix Prometheus catégorie "Hall of Fame" en 1983.
Editions françaises (traduction de Jacques de Tersac):
1 : éditions OPTA, CLA n°29 (1971) ;
2 : Livre de Poche n°7032 (1978) ;
3 : Presses Pocket n°5278 (1988) ;
4 : éditions Terre de Brume, col. "Poussière d'étoiles" (2005, traduction de Jacques de Tersac révisée par Nadia Fischer).
« Il faudrait un long article, que j’écrirai peut-être un jour, pour débattre de tout ce qu’il y a de bon dans ce livre. »David Friedman : « Vers une société sans Etat » (Editions Les Belles Lettres, 1991, page 368).
"Le meilleur roman de Science Fiction que j'ai jamais lu... et de loin."Mélodius.
Nous sommes en 2075. Bien que la disette et la surpopulation y soient chroniques, la Terre est en paix sous l’égide des « Nations Fédérées » (une sorte d’ONU, en plus « musclée »). La Lune est habitée par plusieurs millions de personnes. Des bagnards et des déportés y ont fait souche et, pour des raisons physiologiques (car la gravité est plus faible sur la Lune et au bout d’un certain temps, le corps se modifie), ils ne peuvent revenir sur Terre. Leur principale occupation est la production de céréales dans de gigantesques galeries souterraines, céréales qui sont ensuite envoyées sur Terre.
Comme son titre l’indique, ce roman raconte la révolte des habitants « lunatiques » qui veulent que leur indépendance soit reconnue par les nations terriennes. Après pas mal de péripéties, dont des bombardements de la Terre par des rochers catapultés de la Lune, et avec l’aide d’une intelligence artificielle, ils réussiront.
L’intérêt principal de ce livre est la description que fait Heinlein de la société sélénite qui s’est développée à peu près librement sans beaucoup d’interférences de la part des Terriens qui se désintéressent de son sort tant que les céréales continuent d’arriver.
La Lune est dirigée par un « gouverneur » représentant l’administration terrienne. Son rôle est donc de veiller au départ régulier des « péniches » transportant les céréales.
Vues les conditions initiales du peuplement de la Lune (des déportés et des bagnards), les femmes sont beaucoup moins nombreuses que les hommes. Ce point de départ, ajouté aux conditions d’existence très dures, explique certaines particularités de la société lunaire. Les femmes ont un rôle très important ; ce sont elles qui sont la base des familles et des clans qui se sont constitués au fil du temps et la polyandrie est courante.
La « révolution » est le fait d’un petit groupe d’hommes et de femmes « éclairés », une conception visiblement inspirée du léninisme même si Heinlein rend des hommages appuyés à la guerre d’indépendance américaine.
Sur la Lune, il n’y a pas d’institution étatique, pas d’impôts, pas de « services publics », c’est le règne du pragmatisme et de « l’auto-organisation ». Je ne détaille pas plus, j’ai mis quelques extraits significatifs à la suite de cette présentation.
Robert Heinlein (1907-1988) est un des plus importants écrivains de Science Fiction dans son pays d’origine : les Etats-Unis. L’influence de ses récits a été considérable et les qualités de ses textes sont la solidité de l’intrigue, l’intérêt pour le progrès scientifique et technique et l’optimisme dans l’avenir de l’humanité. Une grande importance est accordée au thème de la liberté qui revient dans de nombreux récits.
Robert Heinlein a obtenu quatre prix Hugo, la plus haute récompense pour des oeuvres de Science Fiction.
En France, la situation a été différente. Bien accueilli dans les années 50 (*), il a été ensuite étiqueté écrivain « de droite » (dans le meilleurs des cas), et ses textes ont été très souvent dévalorisés et méprisés en plus d’être incompris. Il faut dire que les critiques et les directeurs littéraires de collection de SF en France sont tous marqués bien à gauche et que cette tendance s’est nettement aggravée avec le temps...
Le roman « Révolte sur la Lune » est donc logiquement passé quasiment inaperçu des critiques.
La dernière fois que l’on a parlé de Robert Heinlein a été la sortie du film « Starship Troopers » de Paul Verhoeven, car adapté de « Etoiles garde-à-vous ! », un autre roman du même auteur.
Dans « Révolte sur la Lune », Heinlein ne cache pas ses sympathies libertariennes (mais peut-être que le terme est anachronique pour un roman datant de 1965 ?) . Ayn Rand est citée (sous le nom de « Randite », ch. 6) et l'on rencontre un « anarchiste rationnel » (qui défend des idées en fait libertariennes). John Galt, le héros de Ayn Rand est mentionné dans le chapitre 9.
Par ailleurs, il rend de multiples hommages à Sherlock Holmes.
D’un point de vue critique, je ferai deux réserves sur les idées exprimées dans ce livre :
- Heinlein s’appuie sur les idées de Malthus (ch. 18) pour expliquer la situation de disette permanente, que connaît la Terre dans son roman. Le malthusianisme ayant été depuis longtemps réfuté, il aurait été plus juste, à mon avis, et en tout cas plus conforme à l’histoire de ces cinquante dernières années, d’incriminer la collectivisation de l’agriculture par exemple.
- Je ne suis pas sûr que des familles composées de plusieurs maris et de plusieurs femmes vivants ensembles avec leurs enfants puissent réellement exister. C’est une structure peut-être trop contraire à la nature humaine pour durer bien longtemps même si les conditions extrèmes favorisent les innovations qui permettent la survie (lire à ce sujet « Comment fonctionne l’esprit » de Steven Pinker, édition Odile Jacob, chapitre 7 : « Les valeurs familiales », en particulier pages 502 et suivantes).
Mais ne boudons pas notre plaisir. Robert Heinlein a toujours écrit et défendu une Science Fiction humaniste et individualiste : que demander de plus ?
Sylvain
(*) La revue « Fiction » a ainsi publié trois romans de Robert Heinlein en 1957, 1958-59 et 1960-61.
Extraits :La famille :
« Prenons mon propre cas. J’ai l’honneur d’être membre d’un des plus anciens ménages familiaux de Luna, un des meilleurs aussi à mon avis, mais je suis sans doute partial. Vous m’avez posé une question sur le divorce. Notre famille n’en a jamais connu et je parierai n’importe quoi qu’elle n’en connaîtra jamais. Un ménage familial trouve plus de stabilité d’année en année, acquiert de l’expérience dans les relations communes, si bien qu’il serait inconcevable qu’un de ses membres, n’importe lequel, pense seulement à le quitter. Il faudrait en outre le consentement unanime de toutes les femmes pour divorcer avec un mari... ce qui est impossible. » (ch. 18)
La démocratie :
« Vous pourriez même envisager de déclarer élus les candidats qui obtiendraient le moins grand nombre de suffrages ; les hommes impopulaires sont peut-être justement ceux qui peuvent nous sauver d’une nouvelle tyrannie. (...) Tout au cours des siècles passés les gouvernements désignés par la ferveur populaire n’ont pas été meilleurs, ils ont même parfois été pires que les tyrannies déclarées. (...)
Supposons qu’au lieu d’être désigné par l’élection, un député soit désigné par une pétition signée de quatre mille citoyens ; il représenterait réellement ces quatre mille électeurs et n’aurait pas de minorité contre lui puisque, s’il y avait eu une minorité dans sa circonscription électorale, les membres de cette minorité auraient parfaitement eu le droit soit de signer d’autres pétitions, soit de signer la sienne. » (ch. 22)
Deux chambres ? :
«C’est excellent : plus il y a d’obstacles au pouvoir législatif, mieux cela vaut. Pourtant, au lieu de suivre la tradition, je proposerais, moi, qu’il y ait une Chambre législative et que la deuxième Chambre ait pour seul devoir d’abroger les lois. Que les législateurs ne puissent adapter une loi qu’avec une majorité des deux tiers... tandis que ceux qui abrogeraient les lois puissent annuler n’importe quelle loi à la simple majorité d’un tiers. (...) Pensez-y encore une fois : si une loi est tellement discutée qu’elle ne peut convaincre les deux tiers d’entre vous, ne vous semble-t-il qu’une telle loi ne peut être que mauvaise ? Et, inversement, si une loi est discutée par au moins un tiers d’entre vous, ne vous semble-t-il pas, aussi, que vous auriez avantage à vous en passer ? » (ch. 22)
Les impôts :
« ... à moins, encore, que vous, Messieurs les députés, ne deviez être des contribuables volontaires et ne deviez payer pour nos besoins, quels qu’ils soient ; (...) En effet, si vous croyez réellement que vos voisins doivent, pour leur propre bien, subir des lois, pourquoi ne serait-ce pas à vous de payer pour ces lois ? Camarades, je vous en conjure, ne vous laissez pas aller aux impôts obligatoires. Il n’y a pas de pire tyrannie que celle qui oblige quelqu’un à payer pour ce qu’il ne veut pas, uniquement parce que vous pensez que c’est pour son bien. » (ch. 22)
La monarchie :
« Un roi peut seul protéger le peuple de la tyrannie... et surtout de la pire des tyrannies, la sienne. Prof conviendra parfaitement pour ce poste... justement parce qu’il ne désire pas cette charge. » (ch. 22)
La médecine :
« (qu’est-ce que c’est un médecin diplômé ? Le guérisseur chez lequel je vais a sur sa porte une plaque où est inscrit « docteur artisan », et il a mis ses livres de côté, c’est d’ailleurs pourquoi je vais chez lui.) » (ch. 14)
L’école :
« Les écoles publiques ? Nous avons des écoles dans tous les terriers et je n’ai jamais entendu dire qu’elles aient renvoyé des élèves, aussi il me semble qu’on peut dire qu’elles sont « publiques », mais elles sont payantes, elles aussi, et elles sont chères, parce que tous ceux qui, sur Luna, connaissent quelque chose d’utile et acceptent de l’enseigner, tous ceux-là demandent le maximum. » (ch. 17)
La justice : un procès est narré dans le chapitre 11. A ne pas rater...
Références complémentaires :- « Révolte sur la Lune », critique de Jean-Pierre Andrevon in « Horizons du Fantastique » n°16 (Juillet 1971).
- « Un juvénile patriarche » de Demètre Ioakimidis, introduction au « Livre d’or de Robert Heinlein », Presses Pocket n°5102 (1981).
Post-scriptum ou... les critiques lisent-ils les livres qu’ils critiquent ?Par curiosité, j’ai cherché dans les essais sur la Science Fiction parus en français les mentions du roman de Robert Heinlein « Révolte sur la Lune ».
Florilège :
"(...) en 1967,
La Lune est une Dure Maîtresse, description d'un monde futur où le communisme a triomphé partout, mais où le communisme dynamique des colonies lunaires se heurte au communisme fossilisé de la Terre. C'est une brillante description de l'actuel conflit entre Moscou et Pékin, entre le communisme classique et le gauchisme. Evidemment, depuis que ce livre est paru, ceux qui traitaient Heinlein de fasciste ne savent plus où se fourrer."
- Jacques Bergier, préface à "Une porte sur l'été" de R. Heinlein, éd. Rencontre (1970).
« Le catalyseur de la révolution est un chef mythique à l’image de Fidel (sic) - et que ce chef soit un ordinateur qui s’est doté d’une personnalité fictive : « Adam Selene », ne change rien à l’affaire, si ce n’est de mettre de l’eau dans le moulin de la science-fiction.
D’autres parts, les péripéties de la révolte sont bien calquées sur l’aventure cubaine. (...)
D’autre part, ils n’exercent eux-mêmes le pouvoir que (si je puis m’exprimer ainsi) « du bout des lèvres », et ne rêvent que de s’en débarrasser : ils se réclament d’ailleurs de l’anarchisme, lequel possède des frontières troubles avec la théorie de la « libre propriété » (économiquement parlant s’entend). »
- Jean-Pierre Andrevon, « Horizons du Fantastique » n°16 (1971), critique du roman « Révolte sur la Lune », page 42.
« Et on est étonné, sous la plume d’un écrivain réputé réactionnaire, de trouver une description juste et sympathisante d’une révolution de type trotskyste-castriste. »
- Jean-Pierre Andrevon in « L’année 1978-1979 de la Science-Fiction et du Fantastique » de Jacques Goimard, éd. Julliard (1979) page 159.
« ...de même que
Révolte sur la Lune (1970), dont le style est particulièrement odieux - confidence au lecteur - mais qui contient une idée utopique de premier ordre...» (suit une longue citation sur ce qu’est une bonne Constitution, à savoir une liste d’actions qu’un gouvernement devrait s’engager à ne jamais faire.)
- Pierre Versins : « Encyclopédie de l’utopie, des voyages extraordinaires et de la science fiction », éd. L’Age d’Homme (1972), page 410.
« L’auteur suppose que le communisme a triomphé partout sur la Terre puis dans les planètes colonisées du système solaire. Le thème est le heurt du communisme gauchisant et dynamique de la colonie lunaire avec le communisme stalinien et déviationniste de la Terre. »
- Jacques Sadoul : « Histoire de la Science Fiction moderne », éd. Albin Michel (1973), page 225 (texte identique dans les rééditions actualisées de 1975 et de 1984).
« ...avec
Révolte sur la Lune où l’auteur prend certes parti contre le communiste (sic) stalinien, censé avoir gagné toute la Terre, mais pour le communiste libertaire au nom duquel notre satellite proclame son indépendance comme le firent en 1776 les colonies anglaises d’Amérique ? »
- G. W. Barlow : « La science-fiction », MA éditions (1987), page 108.
« Quelques années plus tard,
Révolte sur la Lune (1966), qui dénonce le communisme stalinien tout en célébrant une sorte de gauchisme libertaire, achève de semer la confusion chez ceux qui, avec plaisir ou dédain, ne voient en Heinlein qu’un auteur militariste et réactionnaire. »
- Lorris Murail : « Les maîtres de la science-fiction », éd. Bordas, col. « Les compacts » (1993), page 123.
« Une oeuvre anarcho-socialisante (sic) qui se souvient de la Déclaration d’indépendance des Etats-Unis. »
- Stan Barets : « Catalogues des âmes et cycles de la SF », éd. Denoël, col. Présence du Futur n°275 (1979), page 138.
Le texte est identique dans la réédition de 1981 mais change en 1994 :
« Une oeuvre libertaire qui se souvient de la Déclaration d’indépendance des Etats-Unis. »
- Stan Barets : « Le science-fictionnaire » tome 1, éd. Denoël, col. Présence du Futur n°548 (1994), page 207.
« C’est pourtant le même Heinlein qui écrira le libertaire
Révolte sur la Lune (1966)... »
- Denis Guiot : « Dictionnaire de la science-fiction », Le Livre de Poche n°1510 (1998), page 82.
Jacques Bergier avait-il réellement lu "The Moon is a Harsh Mistress" en 1970 ? C'est possible mais j'ai tendance à en douter car il est connu pour avoir beaucoup fabulé dans ses commentaires et ses affirmations. Jean-Pierre Andrevon a lu le roman et a bien senti l’odeur de souffre qui s’en dégage pour un gauchiste. Un point pour lui. Dommage qu’il persiste dans son analogie avec la dictature communiste cubaine qui n’a quand même pas grand-chose à voir... Pierre Versins a lui aussi lu ce roman.
Mais les autres ? Jacques Sadoul qui est en général fiable a simplement recopié Bergier. Revenons d'ailleurs un instant sur l'interprétation politique qui est proposée. Le communisme partout présent sur Terre ? Non, car si dans le roman, il est fait mention d’une dictature en Amérique du Nord ayant des projets d’ingénierie sociale et économique, on peut aussi y constituer des sociétés capitalistes « classiques » similaires à celles que nous connaissons. L’ensemble de la planète est plus ou moins dirigée par une « super ONU » qui a réussi à faire interdire les armes offensives. Il s’agit donc d’un système interventionniste et étatiste comparable aux projets des gouvernements actuels plus que d’une dictature « stalinienne » proprement dite. Quelques années plus tard, Barrow et Murail se contenteront de consulter « le » Sadoul.
Conclusion : Bergier, Sadoul, Barrow et Murail n’ont très probablement pas lu ce roman... mais sont obligés de le mentionner car il a obtenu le prix Hugo en 1967. Cela expliquerait leur sous-estimation de l’importance de ce livre. Stan Barets l’a peut-être lu et ne sait d’ailleurs pas trop comment le qualifier (une oeuvre « anarcho-socialisante », c’est mignon, non ?). Mais peut-être s’est il contenté de lire la critique d’Andrevon...
Une révolution libertarienne comparée au maoïsme, au trotzkisme, à la dictature cubaine, l’indigence des textes consacrés à ce roman est grande. Mais je pense que dans les années à venir, l’oeuvre de Robert Heinlein sera redécouverte et l’importance et la richesse thématique de « Révolte sur la Lune » enfin reconnue.
P.P.S. : enfin un article digne de ce nom sur « Révolte sur la
Lune » !
Il s’agit d’un article de Francis Valéry paru dans la revue « CyberDreams » n°10 en 1997 (page 105) et dont le titre est : « Révolte sur la Lune : la révolution libertarienne selon Robert Heinlein ». Cet article est maintenant disponible sur le web
ICI.
Francis Valéry résume correctement le roman et en fait de longues citations. Il examine d'assez près la validité scientifique des idées d'Heinlein et passe aussi en revue ses idées concernant le fonctionnement de la société « lunatique ». Là où cela devient plus intéressant, c’est quand Valéry se risque à expliquer ce qu’est (sera ?) la révolution libertarienne. Après avoir dénoncé les « intellectuels de gauche européens » pour leur complaisance à l’égard du communisme (même si ce dernier terme n’est pas employé...), il a quelques mots pour expliquer qu’Heinlein n’était pas fasciste mais que c’était « un homme libre et conscient des limites de sa liberté ». Je ne suis pas sûr de comprendre ce que Valéry veut dire exactement. Accordons lui le bénéfice du doute... Il dénonce ensuite « la pieuvre étatique qui entend régenter la vie des libres-citoyens (sic), circonscrire leurs droits, programmer leur avenir. » Pas mal, mais un peu court... De plus, Francis Valéry ne mentionne pas Ayn Rand, pourtant nommée dans le roman. Dommage. Encore un effort, Francis, tu es sur la bonne voie !
Sylvain
Liens :- Un
entretien très intéressant avec Ugo Bellagamba qui prépare un essai sur la vie et l'oeuvre de Robert Heinlein.
- Ma présentation du recueil
"Révolte en 2100" du même Robert Heinlein.

L'édition ci-dessus est parue aux éditions Berkley en 1968 et l'auteur de l'illustration en est Paul Lehr. Pour la petite histoire, cette illustration a été ré-utilisée en France en 1975 pour le roman d'Arthur C. Clarke "Lumière cendrée" dans la collection Science Fiction du Masque. C'était le n°27 de la collection :

Pour finir, deux éditions russes récentes :
